On aurait dû s’en douter : avec Thomas Pesquet (qui avoue volontiers qu’il aurait préféré devenir basketteur plutôt qu’astronaute) marquant les trois paniers de cette demi-finale, cette fin d’après-midi parisienne promettait de nous emmener dans l’espace.
Ce ne fut pas le cas dans le jeu avec des Français moins brillants que face au Canada mardi, mais quelle envie, quelle énergie pour défendre le score face à des Allemands tenaces et se qualifier pour une nouvelle finale olympique après Tokyo ! Fous de joie, les joueurs et leur entraîneur Vincent Collet resteront longtemps sur le court pour communier avec leurs supporters, “Freed From Desire” résonnant dans la sono. « C’est notre cœur qui a fait la différence, confie Evan Fournier, encore décisif en fin de match. Notre histoire était compliquée, on l’a réinventée. On se fait tellement confiance dans ce groupe que ça marche. » »
Ces derniers jours, nous avions été bien servis en France-Allemagne dans les phases finales : volley, handball féminin et masculin, l’affiche s’est jouée sur plusieurs sites avec des fortunes diverses, deux belles victoires, mais une élimination des handballeurs qui hantera longtemps les acteurs et spectateurs du dernier match de Nikola Karabatic.
Le quatrième tour binational – mais le premier en demi-finales – s’est donc déroulé dans le congélateur de l’Arena de Bercy, la salle la plus climatisée de l’histoire de l’Hexagone, qu’il fallait bien réchauffer pour envisager une deuxième finale olympique d’affilée après 2021. Une perspective inimaginable, il y a quelques jours à peine, quand les hommes de Vincent Collet se déchiraient sur la tactique à adopter et mettaient genou à terre, déjà face à l’Allemagne (85 – 71), championne du monde en titre.
Les Bleus n’avaient plus battu les Allemands depuis 2019
C’était il y a à peine une semaine, une éternité à l’échelle des Jeux. Dominés dans tous les domaines, les Bleus avaient vu le moqueur Dennis Schröder marquer 26 points et provoquer le public du stade Pierre-Mauroy de Villeneuve-d’Ascq avec des gestes peu « olympiques ». A l’époque, les Français, inquiets, étaient loin d’imaginer qu’une chance de revanche se présenterait si vite et si loin dans le tournoi. Ils l’ont obtenue au terme d’un match référence face à des Canadiens censés les dévorer façon poutine (cette spécialité québécoise fortifiante) et repartis finalement liquides comme du sirop d’érable (82 – 73).
France-Allemagne, donc, entre habitude et excitation. Le quatrième de l’été pour les partenaires de Rudy Gobert après deux matches amicaux ratés et la gifle au premier tour. Leur mission, et ils l’ont acceptée : remporter la cinquième demi-finale olympique de l’histoire du basket masculin français (seule défaite à ce stade, en 1956 à Melbourne) pour se donner le droit, le rêve, le plaisir, le privilège, appelez ça comme vous voulez, d’affronter probablement les Etats-Unis de LeBron James pour la médaille d’or samedi soir. Pour mémoire, seuls deux pays hôtes ont remporté des médailles en basket dans l’histoire des JO : les Etats-Unis (deux fois) et l’URSS.
« Les retrouvailles avec Dennis (Schröder) sont une bonne motivation, a assuré Andrew Albicy après la victoire contre les Canadiens. Lui et Franz (Wagner) nous ont écrasés (sic). C’est une équipe mieux construite que nous. Mais nous voulons notre revanche. Nous ferons tout pour qu’ils arrêtent de nous taquiner. « Après une Marseillaise vibrante chantée par près de 20 000 coffres, il n’y avait plus rien à faire.
Hélas, si le début de match avait souri face aux « Canucks », ce n’est pas le cas cette fois, avec trois tentatives lointaines manquées par Cordinier, Wembanyama et Batum. Au premier temps-mort demandé par Collet, le score affiche un piquant 2-12 pour les Allemands, avec déjà 5 points chacun pour les deux bourreaux en chef, Wagner et Schröder, plus « chancelier » que jamais. Brillant mardi dernier, Cordinier réveille les Bleus avec un slalom XL conclu en solitaire, puis un tir à trois points limpide ; Bercy rugit enfin (16-18). Mais l’ailier de Bologne semble bien isolé, alors que ses partenaires retombent momentanément dans leurs mauvaises habitudes.
Imprécis, manquant parfois de l’agressivité qui avait déconcerté les stars NBA canadiennes, ils ont terminé le premier quart-temps en position de chasseurs (18-25). Haché par de nombreux arrêts de jeu, le match n’a pas généré la même folie que le précédent, et cela a évidemment plu aux Allemands qui n’ont pas eu à trop forcer leur talent pour tenir le score, même si on sent que le match s’équilibrait peu à peu sous les yeux des légendes du jeu Tony Parker et Dirk Nowitzki, ainsi que Yannick Noah, tous applaudis.
A 30 secondes de la mi-temps, “Wemby” traîne opportunément sous la peinture et égalise (33-33), symbole d’une équipe qui se bat plus qu’elle ne brille (26 points dans la peinture, contre 16 pour les Allemands). Pour la première fois du match, les Français ne sont plus menés. Ce n’est pas encore génial, loin de là, notamment en termes d’efficacité au tir lointain (1 tir à trois points réussi sur 12, ce n’est pas possible à ce niveau) mais il faudra s’en contenter à la mi-temps, où tout reste possible, d’autant que les deux Zébulons adverses ont bloqué leur compteur de points à 7 – preuve que les Français défendent bien mieux qu’à Villeneuve-d’Ascq.
« MVP, MVP », chante Bercy pour sacrer l’impeccable Yabusele
Ce n’est pas un hasard si la locomotive du jour s’appelle Guerschon Yabusele. L’ailier du Real Madrid n’est pas le plus technique ni le plus esthétique du lot, mais sa rage de vaincre sous les paniers est contagieuse, sa défense hallucinante d’agressivité. C’est en tout cas lui qui enflamme la scène en lançant, récupérant puis marquant le lancer de l’avantage (48-45) dans un vacarme finalement digne de l’événement. “MVP, MVP”, scande Bercy – dans le jargon, une reconnaissance qu’il est le meilleur sur le terrain.
Le bon côté des choses, c’est que cela crée de l’émulation. Evan Fournier, l’homme du verbe direct (” Parfois je dis n’importe quoi, mais ça fait du bien “, se référant à sa critique de la ” sélecteur “), s’occupe de tout et sort même de la raquette pour ajuster un “trois-points” parfait. Cette fois, face à des Allemands étonnamment stériles, c’est la France qui prend les devants (56-50) à l’entame du quart-temps décisif.
Les Bleus ont les Allemands dans la gueule, y compris le lutin Schröder (16 points seulement marqués), et ils n’ont pas l’intention de les desserrer, se jetant sur chaque balle comme des affamés. Même le maladroit “Wemby” (très utile d’ailleurs) décoche sa frappe lointaine, c’est peu dire. Et quand Yabusele n’est pas là, c’est Lessort qui se charge d’entretenir la raquette. Dix points d’avance, puis treize avec Ntilikina qui s’en mêle aussi.
« Incroyable », répète « TP » dans les tribunes
Et voilà, il faut sortir les boules Qui est Il y a tellement de grondements dans les tribunes. Il ne reste que six minutes et nous commencerons la “ola” au son de Pulp Fiction. Les champions du monde semblent déboussolés. Trop de bruit, trop d’impact physique à contrer, et le sentiment que l’histoire est en train de s’écrire, celle d’une sélection irrésistiblement poussée par son public vers la victoire. Il n’y a aucun moyen Dja Dja “, confirme même dans les enceintes le refrain douloureux que vous connaissez sans doute. Pas de pute sur le parquet, juste des Allemands désabusés qui voient l’horloge tourner et leur défaite devenir plus claire s’ils ne réagissent pas.
Leur seule chance est que Yabusele, coupable de cinq fautes, ne joue pas la dernière et haletante minute. Pas de problème, plus que 38 secondes. Aïe : Wagner place un trois-points qui (re)climatise un instant Bercy (70-68). Possession française. Cafouillage, touche. 12 secondes, toujours deux points d’avance, toujours en possession. Allez les Blues, allez les Blues “, la salle se lève. Wembanyama rate un lancer franc, pas deux. 71-68. Dix secondes. Schröder rate un lancer franc, pas deux. 71-69. Les fautes se multiplient, le temps semble ne plus jamais s’écouler.
Plus de deux heures que cette demi-finale a débuté. Cordinier réussit ses deux lancers (73-69), les Allemands abandonnent, Bercy explose. Quand on est soi-même, quand on joue comme ça, on n’a peur de personne. “, conclut la révélation Isaïa Cordinier. ” Incroyable “, répète “TP” en tribune, encore choqué. La France jouera la finale samedi soir (21h30). Quelle vie, quel destin. Quels Jeux !