Renéo Lukic est professeur titulaire de relations internationales au Département d’histoire de l’Université Laval et Sophie Marineau est doctorante en histoire des relations internationales à l’Université catholique de Louvain (UCLouvain).
Plus de deux ans après l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, les forces armées ukrainiennes manquent non seulement d’armes, mais aussi de soldats.
Pour combler ce manque de soldats déployés sur une ligne de front qui s’étend sur près d’un millier de kilomètres, le gouvernement ukrainien a adopté plusieurs stratégies.
Ainsi, le 16 avril 2024, le président Zelensky a signé une nouvelle loi sur la mobilisation de recrues supplémentaires.
L’Ukraine a besoin d’au moins 300 000 nouveaux soldats pour stopper l’avancée de l’armée russe sur le front. Pour recruter les forces nécessaires, la nouvelle loi a abaissé l’âge de recrutement de 27 à 25 ans. L’âge moyen des soldats ukrainiens est actuellement de 43 ans, alors qu’il était de 33 ans en mars 2022. L’armée ukrainienne a donc décidé de ne pas démobiliser pour l’instant les soldats présents depuis deux ans au front, faute de troupes entraînées et disponibles pour les remplacer.
Depuis février 2022, 650 000 hommes éligibles à la conscription militaire ont quitté l’Ukraine. Rien qu’en 2023, 1 300 d’entre eux ont été convoqués devant un tribunal pour avoir résisté à la conscription et ne pas avoir répondu à l’appel des autorités militaires à s’enrôler dans les forces armées. La majorité de ces hommes se trouvent à l’extérieur du pays.
Par conséquent, l’appel aux femmes soldats devient d’autant plus une nécessité existentielle pour la défense et la survie de l’Ukraine en tant qu’État souverain.
Je suis professeure titulaire de relations internationales au Département d’histoire de l’Université Laval et ma co-auteure, Sophie Marineau, est doctorante en histoire à l’Université catholique de Louvain. Depuis 2014, la guerre en Ukraine et la réaction internationale à ce conflit sont au centre de nos recherches respectives.
Les femmes de plus en plus présentes dans l’armée ukrainienne
Actuellement, selon le ministère de la Défense de l’Ukraine, 67 285 femmes servent dans les forces armées ukrainiennes : 47 569 d’entre elles occupent des postes militaires et environ 5 000 femmes soldats sont en première ligne.
Elles représenteront 15 % de l’armée ukrainienne en 2024. Avant l’offensive de 2022, les femmes pouvaient occuper des postes non combattants : médecins, opératrices, cuisinières, comptables, ingénieures, etc. Depuis 2022, elles peuvent combattre dans des bataillons de volontaires et, désormais, occuper légalement des postes combattants au sein de l’armée.
Ils s’engageaient tous dans l’armée volontairement – aucune loi n’obligeait les femmes à s’engager dans l’armée, la conscription était encore réservée aux hommes – et pour des raisons différentes : ils ne le faisaient pas parce qu’ils voulaient participer aux combats, mais parce qu’ils voyaient leurs proches partir au front ou s’engager, ou parce qu’ils ne voulaient pas laisser leurs fils vivre encore plusieurs années dans un climat de guerre. Ils s’engageaient donc dans les rangs par nécessité, parce que leur pays avait besoin d’eux.
En 2024, il ne fait aucun doute que les femmes soldats ukrainiennes sont indispensables à l’armée et à la défense du pays.
Femmes ukrainiennes en mode légitime défense
Après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, les femmes ont commencé à gonfler les rangs des forces armées ukrainiennes, atteignant 16 500.
LE guerre éclairL’offensive russe lancée par Moscou le 24 février 2022 contre l’Ukraine reste cependant le point central du recrutement volontaire des femmes dans l’armée ukrainienne. Les crimes de guerre commis par l’armée russe dans la ville de Bucha et autour de Kiev en février et mars 2022 motivent également de nombreuses femmes à s’enrôler.
Le massacre de civils à Bucha a été accompagné de multiples viols de femmes par des soldats russes, suivis de l’enlèvement et de la déportation d’enfants vers la Russie. Pour ces crimes, la Cour pénale internationale (CPI) a ouvert des poursuites contre le président russe Vladimir Poutine.
Avec l’intensification de la guerre, le viol des femmes ukrainiennes par les soldats russes est malheureusement devenu une pratique courante dans les territoires occupés. L’enrôlement massif des femmes dans l’armée répondait ainsi non seulement aux besoins de la défense de l’État ukrainien, mais aussi à la nécessité d’apprendre à se défendre, si elles devaient se retrouver face à face avec l’occupant.
De nombreux défis à relever
Malheureusement, certains problèmes accompagnent la progression des femmes dans l’armée. On constate des cas de sexisme et de harcèlement sur les lignes de front.
L’armée ukrainienne a également du mal à produire des uniformes et des équipements pour son personnel féminin. Les femmes qui n’occupent pas de postes de combat portent souvent des jupes et des chaussures à talons hauts. Il leur faut désormais des uniformes de combat adaptés.
Beaucoup se voient attribuer des chaussures, des bottes et des uniformes masculins trop grands, ainsi que des vêtements qui ne leur vont pas. L’approvisionnement en produits d’hygiène féminine constitue également un défi sur le front.
Pour remédier à ce manque d’uniformes adéquats, le gouvernement canadien a livré 2 000 uniformes aux femmes soldats en 2024. Pour la première fois, en février, les femmes ont reçu de véritables uniformes de combat d’été.
Les autorités ukrainiennes ne divulguent pas officiellement le nombre de pertes parmi les soldats ukrainiens. Toutefois, selon les dernières estimations, environ 100 femmes sont mortes au combat et 500 autres ont été blessées.
Le problème le plus délicat en Ukraine aujourd’hui est celui de la mobilisation. Les forces armées ukrainiennes peinent à recruter de nouveaux soldats pour les envoyer sur un front de plus de mille kilomètres. À cet égard, la présence de femmes soldats revêt une importance stratégique majeure. Tous les indicateurs de la guerre en Ukraine laissent penser qu’elle sera encore longue et meurtrière.