On parle beaucoup des transports ce printemps, et souvent pour des raisons désespérées. Les déficits s’accumulent; les projets coûtent trop cher et ne se réalisent pas; les ministres et les maires se chicanent sans cesse; la part des gaz à effet de serre émise au Québec par ce secteur, plutôt que de diminuer, augmente.
Je comprends que Catherine Morency, experte en planification des transports, interviewée dans nos pages ce mois-ci, soit exaspérée : en matière de mobilité personnelle, non seulement le Québec n’avance pas, il semble reculer.
Je reviens tout juste d’un voyage à Amsterdam, une ville charmante connue pour ses canaux et son ambiance festive. Mais ce qui frappe le plus le touriste québécois qui y arrive, c’est le transport. Déambuler dans un environnement urbain où la voiture est la troisième priorité, derrière le vélo et les piétons (dans cet ordre), est pour le moins déstabilisant. En voyant des centaines de Néerlandais pédaler pour vaquer à leurs occupations (jeunes et vieux, parents portant deux ou trois enfants, gens d’affaires et étudiants – presque tous sans casque !), sur des pistes cyclables bien entretenues, on se prend à penser : si j’avais accès à un tel réseau, peut-être opterais-je moi aussi pour les déplacements à deux roues ?
Et puis il y a les transports en commun européens, qui feraient pâlir d’envie tous ceux qui attendent un bus qui ne vient jamais ou qui paient 200 $ pour un train qui les déposera loin de leur destination. Pour se rendre à Utrecht, située à une quarantaine de kilomètres d’Amsterdam, il nous a fallu moins de 30 minutes en métro et en train — et pas aux heures de pointe : il y a des départs du matin au soir toutes les 15 minutes entre les deux villes ! Il faut plus de temps pour aller du centre-ville de Montréal à la plupart de ses banlieues…
Je sais, la comparaison entre les villes européennes et québécoises est imparfaite, question de densité de population, d’histoire, d’urbanisme. Mais la différence est avant tout une question de culture et de perspective.
Par exemple, la géographie du Québec est trop souvent utilisée pour décourager les efforts en matière de transport collectif. Mais comment le fait que l’automobile soit indispensable au Témiscamingue ou au Bas-Saint-Laurent nous empêche-t-il de créer des alternatives intéressantes pour les zones urbaines? Tous les Québécois n’auraient-ils pas intérêt à réduire les GES là où le trafic automobile est le plus dense?
L’idée qu’il y aurait une « guerre » entre les automobilistes et les usagers des autres modes de transport est une autre vision de l’esprit complètement fabriquée. Il n’y a pas deux catégories de personnes à Québec, à Bois-des-Filion ou à Chambly : il y a simplement des gens à qui on offre plus ou moins d’options pour se déplacer, et qui choisissent en fonction des avantages et des inconvénients de chacun de ces moyens. Ce n’est pas parce que quelqu’un est en voiture qu’il ne préfère pas prendre l’autobus pour aller au travail, ou parce que quelqu’un est en vélo qu’il ne conduit pas un VUS la fin de semaine pour aller au chalet.
Quels que soient les bouleversements de structures et de gouvernance, le vrai changement viendra quand on s’attaquera au prisme déformant à travers lequel les transports publics sont trop souvent analysés. Un tram n’est pas une idéologie, un métro n’est pas une menace, un bus n’est pas un symbole culturel : ce sont simplement des moyens de déplacement, qui ont des défauts, mais aussi de grandes qualités, la plus évidente étant qu’ils sont beaucoup moins nocifs pour le climat que la voiture.
Il y a clairement des gains politiques et médiatiques à faire en attisant la fausse dualité « voiture versus tramway ». Mais l’enjeu est trop grand pour en rester à ce niveau de mesquinerie. Nous devons exiger davantage de nos élus et contribuer individuellement à changer le discours. Le Québec et la planète méritent mieux.