Pour aider le Québec à atteindre son objectif de carboneutralité d’ici 2050, des chercheurs s’emploient à trouver des sources d’énergie propres dans les endroits les plus insolites. Même dans les boues des stations d’épuration.
Ces boues, principaux déchets produits par les stations, contiennent principalement de la matière organique et sont le plus souvent épandues sur les champs, incinérées ou enfouies. Mais elles peuvent aussi subir un processus de fermentation créant du biogaz qui, une fois transformé, présente des caractéristiques proches de celles du gaz naturel. Mieux, car ce biogaz n’est pas une énergie fossile et génère moins de gaz à effet de serre.
Si certaines municipalités, comme Repentigny et Gatineau, extraient déjà du biogaz de leurs boues d’épuration, la province recèle un potentiel inexploité. Julien Descoteaux, étudiant à la maîtrise en gestion et développement durable à HEC Montréal, a donc ciblé 46 grandes usines – sur les 848 que compte le Québec – qui ont le potentiel de fournir des quantités importantes de biogaz.
Il a découvert que ce procédé permettrait aux usines de produire suffisamment d’énergie pour assurer leurs propres opérations de traitement des eaux. Actuellement, certaines utilisent du gaz naturel pour sécher les boues ou les incinérer !
Au total, les stations ciblées produiraient une quantité de biogaz correspondant à 0,3 % de la consommation énergétique du Québec. « Ça ne changerait pas radicalement le portrait énergétique du Québec », reconnaît Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, qui a supervisé l’étude. Mais dans un contexte de réduction des GES, ça compte. « Même si ce n’est pas un gros potentiel, il faudra le mettre en œuvre pour nous permettre d’atteindre nos cibles de neutralité carbone », affirme Julien Descoteaux.
Le potentiel des stations d’épuration n’est pas la panacée : il faudrait tirer de l’énergie des eaux usées de six maisons pour répondre aux besoins énergétiques d’une seule, explique Gert-Jan Euverink, professeur spécialisé en biotechnologie à l’université de Groningue aux Pays-Bas, où le secteur du biogaz est bien développé. En revanche, “c’est une très bonne option pour rendre nos stations d’épuration neutres en carbone”, note-t-il également. Les Pays-Bas prévoient également d’y parvenir pour toutes leurs stations d’épuration d’ici l’année prochaine.
Les eaux usées contiennent une autre ressource intéressante : la chaleur, notamment parce que l’eau des douches et du lave-vaisselle finit dans les égouts. À Montréal, par exemple, la température annuelle moyenne des eaux usées est de 14 °C. Un gaspillage considérable, selon Julien Descoteaux, puisque la ville possède la plus grande usine de traitement des eaux usées en Amérique du Nord – l’usine Jean-R.-Marcotte – qui rejette en moyenne 2,3 millions de mètres cubes d’eaux usées par jour.
Cette chaleur pourrait être récupérée par des thermopompes et contribuer au chauffage résidentiel des quartiers avoisinants. Selon le gouvernement du Québec, les 848 usines de traitement des eaux usées de la province ont le potentiel de chauffer partiellement près de 173 000 résidences.
Pour l’instant, aucun centre de traitement des eaux usées au Québec ne récupère ses rejets thermiques. Le programme Valorisation des déchets thermiques est toutefois doté d’une enveloppe de 394 millions de dollars sur cinq ans pour encourager les municipalités et les industries, entre autres, à s’y mettre.
Les chercheurs plaident également pour une plus grande régulation. « Il faut responsabiliser les communes et les consommateurs dans la gestion de l’eau », suggère Pierre-Olivier Pineau. Pas seulement au moment où le robinet est ouvert, mais aussi après.
Cet article a été publié dans le numéro d’octobre 2024 de Les nouvellessous le titre « L’or des eaux grises ».