Aujourd’hui président-directeur général de la Fondation du Grand Montréal, Karel Mayrand est depuis 25 ans un observateur privilégié des enjeux environnementaux.
Alors que la plupart des pays du monde se mobilisent pour sauver la planète en feu, les banques canadiennes continuent de soutenir sans relâche l’industrie des combustibles fossiles. Soixante grandes banques du monde entier ont investi 6,9 billions de dollars dans les combustibles fossiles depuis la signature de l’Accord de Paris à la fin de 2015, selon le rapport. Miser sur le chaos climatiquepublié à la mi-mai par un consortium de groupes environnementaux. Les cinq principales banques canadiennes ont investi à elles seules 911 milliards de dollars de ce total, ce qui les place au premier rang du financement mondial des énergies fossiles. Les banques canadiennes nous mènent à notre perte.
Cela peut paraître dur, mais les faits sont là. Nous savons depuis une décennie que limiter le réchauffement climatique à un niveau sûr ne nécessite pas de nouveaux gisements de pétrole, de charbon ou de gaz, ni de nouvelles infrastructures. L’Agence internationale de l’énergie et d’autres agences ont publié de nombreux rapports pour établir notre « budget carbone ». Tous les scénarios climatiques sûrs impliquent la fermeture des gisements et des infrastructures existants et, surtout, l’arrêt de la création de nouveaux gisements et infrastructures.
En continuant à investir massivement dans le développement des énergies fossiles, les banques se mettent dans une situation sans issue. Si nous parvenons à atteindre les objectifs de l’Accord de Paris en éliminant rapidement les énergies fossiles, la valeur de ces investissements s’effondrera. Nous assisterons à l’éclatement d’une bulle financière – la bulle du carbone – qui déstabilisera le système financier et l’économie mondiale.
Mais si ces investissements s’avèrent rentables à moyen et long terme, cela signifiera que le pétrole, le charbon et le gaz auront continué à couler à flot, que nous aurons raté les objectifs de Paris et que le climat se sera emballé, entraînant l’humanité toute entière dans l’abîme. Bref, par leur refus de cesser de financer les énergies fossiles, leur négligence et leur aveuglement, les banques nous enferment dans une cage dont il n’y a que deux issues : la crise financière ou l’effondrement climatique. Nous nous engageons sur un chemin qui rappelle celui qu’ont emprunté les acteurs financiers dans la première décennie des années 2000 et qui a conduit à la crise des subprimes aux États-Unis et à la crise financière de 2008. Cette fois, c’est aussi l’avenir de la planète qui est en jeu.
Les leaders financiers mondiaux considèrent désormais la question climatique comme un risque systémique, c’est-à-dire un phénomène qui constitue un risque pour l’ensemble du système financier. C’est pourquoi des initiatives telles que la Task Force on Climate-Related Financial Disclosures (TCFD) et l’International Sustainability Standards Board (ISSB), institution financière internationale dont le siège nord-américain est à Montréal, ont été entreprises. Ces organismes établissent des règles de divulgation qui permettent aux investisseurs d’obtenir des informations transparentes, complètes et standardisées pour mesurer les risques climatiques (la TCFD a été dissoute depuis la fin de son mandat, mais ses recommandations sont toujours largement suivies). Ces normes jouent un rôle crucial, mais elles restent volontaires et ne garantissent pas que les acteurs financiers se placeront sur une trajectoire compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris.
En 2021, les cinq grandes banques canadiennes se sont engagées à aligner leurs portefeuilles de prêts et d’investissement sur des émissions nettes nulles d’ici 2050. En fait, les émissions de leurs portefeuilles ont augmenté depuis. Selon un rapport d’InfluenceMap, de 2020 à 2022, ces banques ont augmenté la part de leurs portefeuilles investis dans les combustibles fossiles de 16 % à 18 %, pour un total de 275 milliards de dollars.
De plus, malgré leur discours public en faveur des énergies renouvelables, les banques canadiennes continuent d’investir beaucoup plus dans les combustibles fossiles. Par exemple, la RBC a révélé au contrôleur de la ville de New York qu’elle n’investissait que 37 cents dans les énergies renouvelables pour chaque dollar investi dans le pétrole, le charbon et le gaz. Cette situation a conduit plusieurs groupes environnementaux à accuser la banque de « greenwashing ».
L’ampleur des risques financiers et climatiques auxquels sont confrontées les banques canadiennes et leur lenteur à s’aligner sur les objectifs de l’Accord de Paris rendent nécessaire l’adoption d’une loi sur la finance climatique. Force est de constater qu’avec les règles du jeu actuelles, les banques canadiennes ont peu d’incitations à amorcer le virage nécessaire. Au contraire, elles sont constamment motivées à prolonger la transition, ce qui nous fait rater nos objectifs climatiques.
C’est dans ce contexte que le projet de loi S-243, la Loi sur le financement axé sur le climat (LFAC), est actuellement à l’étude à Ottawa. Ce projet de loi, déposé par la sénatrice indépendante Rosa Galvez, obligerait les institutions financières fédérales à établir des objectifs alignés sur les cibles climatiques, à élaborer des plans de mise en œuvre et à détailler leurs progrès dans des rapports d’étape. Il donnerait au surintendant des institutions financières le pouvoir de superviser ces plans et leur mise en œuvre. Enfin, il exigerait que les investissements dans des projets à fortes émissions de GES soient considérés à haut risque pour refléter leur risque réel, ce qui rendrait l’accès au capital plus coûteux.
Sans surprise, l’industrie pétrolière et l’Association des banquiers canadiens s’y opposent, mais le projet de loi est soutenu par plus de 120 organisations à travers le Canada, et près de 7 000 Canadiens ont signé une pétition demandant aux banques d’aligner leurs investissements au Canada sur les objectifs climatiques du pays. De plus, un récent sondage montre que 65 % des Canadiens souhaitent que le gouvernement adopte de nouvelles réglementations sur la finance durable, et davantage de Canadiens préfèrent des réglementations obligatoires aux réglementations volontaires. Le soutien monte à 78 % des Canadiens lorsqu’on mentionne que ces réglementations contribueraient à prévenir le greenwashing.
L’ancien gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, une sommité mondiale en matière de financement climatique, affirme que le secteur financier canadien est en retard et en décalage avec les objectifs de l’Accord de Paris. Les dernières années ont montré que les engagements volontaires ne fonctionnent pas. Chaque année qui passe, le gouffre financier et climatique dans lequel les banques nous précipitent est de plus en plus profond, à leurs risques et périls et aux nôtres. Si les banques canadiennes veulent vraiment soutenir la transition énergétique, elles doivent le démontrer en appuyant le projet de loi. Si elles s’y opposent par le biais de leur association et font pression pour maintenir le statu quo, nous comprendrons qu’elles ont choisi de parier leur avenir et le nôtre sur la fin du monde.