DDe grosses raquettes de ping-pong, une balle de plastique creuse et trouée, un filet à hauteur d’enfant… Dès que Jude Noël, un athlète sexagénaire de Sainte-Adèle dans les Laurentides, a vu des joueurs de pickleball en action il y a quelques années, il a été intrigué. « Chaque semaine, je jouais au hockey-balle dans un parc et j’ai remarqué un groupe qui pratiquait ce sport étrange. Curieux, j’ai décidé d’aller voir ce qui se passait », raconte-t-il.
À son arrivée, les joueurs lui ont prêté une raquette et lui ont prodigué des conseils, lui assurant qu’il maîtriserait la technique en un rien de temps. Au cours de l’heure qui a suivi, Jude Noël a affronté une bonne dizaine d’adversaires. Car les parties de ce sport, qui se joue le plus souvent en double, sont courtes, soit de 10 à 15 minutes. « Ça a été le coup de foudre. Presque instantanément, j’ai arrêté le hockey pour me consacrer entièrement à ça. »
Dans toutes les régions, de nombreux Québécois succombent aux charmes de ce jeu accessible à toutes les générations. Preuve de sa popularité, la Fédération québécoise de pickleball (FQP), fondée en 2011, a vu son effectif bondir de près de 50 % en une seule année de 2022 à 2023 ; il se situe désormais à 12 500 membres. La FQP s’attend à ce qu’il grimpe à 15 000 d’ici la fin de 2024. « Et c’est sans compter les joueurs qui pratiquent ce sport sans être membres d’un club, un nombre difficile à estimer », précise Stéphane Brière, directeur général de la Fédération.
Aux États-Unis, on comptait 8,9 millions de joueurs en 2022, soit une hausse de près de 160 % sur trois ans, selon un rapport de la Sports & Fitness Industry Association, qui regroupe l’ensemble de l’industrie du sport. Il s’agirait du sport qui connaît la plus forte croissance dans le pays de Joe Biden. Partout en Amérique du Nord, l’envie d’en faire un sport d’élite s’ajoute à la fièvre des fans, attirés par son caractère explosif.
Un destin surprenant pour un jeu né en 1965, dans l’État de Washington, lors d’un après-midi ennuyeux à la campagne. En compagnie de l’homme d’affaires Bill Bell, l’homme politique Joel Pritchard propose à ses enfants de jouer sur un ancien terrain de badminton, dont ils abaissent le filet. Sans équipement, ils prennent des raquettes de tennis de table (ou en fabriquent rapidement en contreplaqué, l’histoire n’est pas claire), trouvent des balles en plastique et lancent des échanges. Le jeu serait baptisé « pickleball » par la femme de Joel Pritchard, un nom ironique faisant référence aux courses de bateaux où le dernier à franchir la ligne d’arrivée est surnommé « pickleball ». bateau à cornichons ».
Peu importe. Si l’on aime un tant soit peu les sports de raquette, il suffit de quelques échanges pour ressentir le plaisir de jouer au pickleball, comme je l’ai moi-même expérimenté lors de mon premier match en février dernier. J’ai pu réaliser des échanges corrects en moins d’une heure. Rien à voir avec la complexité technique du tennis, son plus proche cousin.
L’un des atouts de ce sport est sa raquette. Contrairement à celle utilisée au tennis, où une longue tige sépare le manche de la zone de contact, le cadre d’une raquette de pickleball est proche de la main. Un détail qui paraît anodin, mais qui facilite la maîtrise du jeu. « La coordination main-œil est simplifiée. C’est aussi instinctif que de frapper directement avec la main », assure Stéphane Brière. Quant aux trous dans la balle, ils la ralentissent un peu grâce au frottement de l’air, ce qui favorise les échanges et rend le jeu plus dynamique.
L’autre élément qui simplifie la pratique : le filet à moins d’un mètre du sol, donc légèrement plus bas qu’au tennis. « Les coups se font principalement à hauteur de hanche, ce qui les rend plus faciles à contrôler », précise Stéphane Brière. La petite surface de jeu de 80 m2 (quatre fois moins que celle d’un court de tennis) réduit l’espace à couvrir. Tout pour rendre ce sport plus démocratique.
Jusqu’à maintenant, on le connaissait surtout comme une activité pour retraités. Parmi les adeptes, on compte en effet une grande proportion d’anciens joueurs de tennis aux articulations rouillées. « Pour plusieurs amateurs, l’aspect social est aussi important que le sport lui-même », note Michèle Jarry, présidente du Club de pickleball de Saint-Jérôme. Pendant que certains jouent, d’autres discutent ensemble. Au Québec, ce sont les clubs de pickleball, dont les membres se rassemblent dans les parcs, qui ont commencé à le populariser il y a une quinzaine d’années.
L’essor récent est dû à l’intérêt des plus jeunes, séduits par le marketing entourant ce sport émergent porté par les réseaux sociaux, explique Stéphane Brière. Aux États-Unis, des ligues professionnelles se forment et attirent un large public ainsi que des investisseurs de renom, comme la superstar du basket LeBron James, qui a investi dans une équipe professionnelle. « Aujourd’hui, j’allume ma télé en Floride et il y a des compétitions de pickleball tous les jours », constate Michèle Jarry, qui y passe ses hivers.
Le oiseau des neiges voit jouer la Québécoise Catherine Parenteau, 29 ans, classée deuxième en simple et en double au sein de la Professional Pickleball Association (PPA), dont les tournois se déroulent aux États-Unis. Une vedette québécoise s’est aussi récemment fait connaître : Eugenie Bouchard. En disputant son premier match compétitif en janvier dernier à Palm Springs, en Californie, l’ancienne finaliste de Wimbledon a suscité l’enthousiasme des jeunes générations. « Dès qu’Eugenie Bouchard a annoncé, en septembre 2023, qu’elle se mettait au pickleball, nous avons gagné plusieurs centaines de nouveaux membres », raconte Stéphane Brière de la FQP.
Ernesto Fajardo, 24 ans, considéré comme l’un des meilleurs joueurs au Canada, représente le vent de jeunesse qui souffle sur ce sport. Le Montréalais, étudiant en génie mécanique, l’a découvert à 16 ans, lors d’une journée d’initiation dans un club local. « J’ai été accueilli par des retraités », raconte-t-il. Puis, ce passionné de tennis a eu une révélation en affrontant des joueurs professionnels lors d’un tournoi à Plattsburgh, dans l’État de New York. « J’ai été ébloui par l’explosivité de ce sport. Un nouveau monde s’est ouvert à moi. » Après avoir progressivement abandonné le tennis, il est devenu joueur professionnel de pickleball en 2019. Pour rester au sommet, Ernesto Fajardo s’entraîne six fois par semaine en gym et joue 20 heures, en plus de poursuivre ses études. « Il faut travailler ses jambes et ses abdominaux pour être extrêmement explosif et avoir de l’endurance. » « Chaque échange est une partie d’échecs dans laquelle on essaie de trouver la faiblesse de nos adversaires », confie celui qui est aussi entraîneur.
Il y a toutefois un facteur qui freine l’essor de ce sport au Québec : la pénurie de terrains. « Cela touche tous les clubs du Québec. L’été, ça va un peu mieux parce qu’on installe nos filets amovibles sur les terrains de tennis ou les patinoires, mais l’hiver, il y a un sérieux manque de terrains intérieurs », explique Johanne Verrier, présidente de l’Association régionale de pickleball de l’Outaouais.
Les clubs régionaux font pression pour convaincre les municipalités de construire de nouveaux terrains, mais les municipalités doivent tenter de répondre aux demandes de toutes les associations sportives. « J’adore ce sport qui incite les gens à bouger et à interagir, mais nos complexes sportifs sont déjà utilisés au maximum », affirme Marc Bourcier, maire de Saint-Jérôme.
En 2023, des terrains de tennis désuets ont été transformés en huit terrains permanents de pickleball au Parc Optimiste de Saint-Jérôme. « Nous envisageons d’ajouter des terrains cet été sur la patinoire Bleu Blanc Bouge de la Fondation des Canadiens de Montréal », indique le maire Bourcier.
La dispute éclate parfois lorsque des amateurs squattent les courts de tennis en y installant leurs filets amovibles. En Colombie-Britannique, des joueurs de tennis ont tenté de bloquer l’accès à deux courts des îles Gulf en déposant une requête, finalement rejetée, auprès de la Cour suprême de cette province. Au Québec, la cohabitation est heureusement plus pacifique.
Face à la pénurie de terrains, des entrepreneurs privés sautent sur l’occasion. C’est le cas de Daniela Petkova et Ricky Twynam, copropriétaires du complexe Sani Sport de Brossard, sur la Rive-Sud de Montréal, qui viennent de convertir leur salle d’entraînement CrossFit en quatre terrains intérieurs spécialement réservés à cette activité. « Nous voulons surfer sur la vague de ce sport en pleine croissance », explique Daniela Petkova.
Les deux entrepreneurs étudient la possibilité d’ouvrir des centres exclusivement dédiés au pickleball un peu partout sur la Rive-Sud. « Nous voulons organiser des tournois et donner entraînement “, explique Ricky Twynam, un ancien joueur de tennis de haut niveau. Ailleurs au Québec, “des entrepreneurs veulent convertir des locaux de grands magasins vides en terrains intérieurs”, indique Johanne Verrier, de Gatineau. Un peu à l’image de ce qui se fait aux États-Unis.
Le bruit « pop » de la balle en plastique qui frappe la raquette va probablement devenir un son familier. Le progrès ne peut pas être arrêté… et la balle trouée non plus.