Cet homme est comme une ombre, capable de traverser les murs. Au moment où l’on croit s’approcher, il disparaît. Au moment où l’on croit l’avoir identifié, il s’éclipse. Le Paris occupé du début des années 1940 était sa jungle et il nous a encouragés à le suivre sans jamais se dévoiler, laissant derrière lui des indices déconcertants : au moins 700 photos prises à la volée, accompagnées de commentaires doux-amers au dos, si parisiens qu’on jurerait entendre Jean Gabin dans le chef-d’œuvre de Julien Duvivier de 1936 La Belle Equipe (Ils étaient cinq). Pour lui, les Allemands étaient « les Fritz », les Françaises jugées trop amicales envers l’occupant étaient des « nanas », voire des « prostituées », et Paris était un théâtre permanent. Seul quelqu’un qui connaissait et aimait cette ville pouvait s’y plonger ainsi, au mépris du danger, et la capturer ensuite dans son état brut, affichant toute la laideur de l’époque. Une seule arrestation aurait signifié la prison, voire la mort ou la déportation.
Qui était ce fantôme ? L’enquête lancée à l’automne 2020 nous a apporté un certain nombre de certitudes. Résumons-les… Entre le 30 juin 1940 et au moins l’été 1942, notre mystérieux photographe a pris de très nombreuses photos, qui ont ensuite été datées, numérotées et légendées au dos. L’écriture, en majuscules, est généralement soignée, avec quelques fautes d’orthographe et, souvent, de curieuses griffures, comme si tout ou partie du texte d’origine avait été corrigé ou effacé. Que s’est-il passé ensuite ? A-t-il été arrêté ou emprisonné ? Soudain, c’est le black-out, tout s’arrête – plus de nom, plus de trace, plus de piste.
Il y a près de 80 ans, à la libération de Paris, un jeune soldat français du nom de Paul Leduc (1921-1995), membre des services secrets au sein du bureau de sécurité militaire 407, récupéra un grand nombre de ces images auprès d’un réseau de Résistance (non identifié) et les conserva dans ses archives. Il en sélectionna alors 377 pour en faire un album. En guise d’introduction, il rédigea une carte qui commence ainsi : « En juin 1940, un promeneur parisien s’est armé de son appareil photographique pour saisir de nombreuses scènes de l’armée d’occupation. » Les quelques centaines de clichés que Leduc n’a pas retenus pour l’album furent stockés dans une caisse, avec des images personnelles, sans aucun lien avec le mystérieux « promeneur parisien ».
Comme raconté dans les premiers épisodes de cette série, Le monde L’enquête a réuni deux parties de la collection : l’album, exhumé en 2020 dans une brocante du sud de la France, et les photos de la caisse, conservées au Musée national de la Résistance (MRN) de Champigny-sur-Marne. Ensemble, ils forment un portrait singulier du Paris des années 1940-1942.
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