Après une matinée pluvieuse à Boulogne, en banlieue parisienne, le soleil était enfin de sortie. Sa douce lumière emplissait le salon de l’appartement d’Adrien Borne. L’écrivain de 43 ans consacrait son après-midi à parler des hommes victimes d’agressions sexuelles, en s’exprimant avec franchise et pudeur. En 2022, il a publié La vie qui commence (« La vie qui commence »), un roman ancré dans un traumatisme personnel qu’il a vécu l’été de ses 13 ansème anniversaire. L’ancien journaliste est devenu écrivain – il a également publié les romans Mémoire de la soie (« Silk Memory ») en 2020 et L’île de Là-Haut (« L’île là-haut ») en 2024 – tisse une histoire autour des souvenirs de Gabriel, qui avait été agressé sexuellement au camp d’été 20 ans plus tôt, à l’aube de son adolescence, par « le surveillant du camp en survêtement rouge ».
Malgré les critiques élogieuses, Borne n’a jamais été invité à la télévision pour parler du sujet de son livre. Aujourd’hui, il dit ouvertement qu’il nourrissait « un espoir fou, tacite et éhonté : que ce livre puisse attirer l’attention sur les garçons ». Mais, face à l’indifférence des médias, il déplore : « J’ai dû accepter que la violence sexuelle contre les garçons reste un territoire inexploré. »
Sept ans après le déclenchement du mouvement #MeToo en 2017, les témoignages de femmes continuent d’affluer dans l’espace public, « à juste titre, vu son ampleur », estime-t-il. Mais ce n’est qu’en février 2024, lorsque l’acteur français Aurélien Wiik a lancé le hashtag #MeTooGarçons, que Borne a été contacté pour participer à des émissions à la recherche d’hommes prêts à témoigner.
Un écart statistique
Les données disponibles sur les violences sexuelles montrent des différences significatives entre les sexes : 3,9 % des hommes subissent des violences sexuelles au cours de leur vie, selon l’enquête de 2015 Violence et relations de genre Selon l’enquête « Violences et rapports de genre » de l’Institut d’études démographiques (Ined), ce taux monte à 14,5 % pour les femmes. De plus, les femmes sont victimes de violences sexuelles tout au long de leur vie, alors que plus des deux tiers des hommes qui subissent de telles violences le font avant 18 ans ou au début de l’âge adulte. Cet écart statistique explique-t-il que les hommes soient moins enclins à en parler ? Comparés aux femmes, les récits des hommes semblent à la fois plus discrets individuellement et moins reconnus collectivement, comme si la société les absorbait en silence.
Si les témoignages des femmes constituent souvent un raz-de-marée sociétal, le mouvement #MeToo des hommes se manifeste par petites vagues. Pourtant, les hommes que nous avons interrogés, qui ont osé exposer leur vie brisée, décrivent le même type de tourment. Comme les femmes, les hommes sont eux aussi majoritairement agressés par des hommes adultes – 90 %, selon les données de l’INED – et ils décrivent eux aussi une vie marquée par des traumatismes. Pourtant, leurs histoires contiennent des nuances et des silences qui reflètent les stéréotypes de genre, ce qui permet de comprendre pourquoi les témoignages masculins ont tant tardé à émerger dans la sphère publique.
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