Députée libérale de Québec de 2007 à 2022, Christine St-Pierre a été ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, ainsi que ministre des Relations internationales et de la Francophonie. Journaliste à Radio-Canada de 1976 à 2007, elle a été correspondante parlementaire à Québec et à Ottawa, puis correspondante à Washington.
Un jour que je marchais sur la Grande Allée à Québec derrière trois étudiants qui discutaient passionnément de politique, j’ai entendu l’un d’eux dire à ses compagnons : « La CAQ, c’est le PQ et le PLQ liés ensemble avec scotch ! » Une façon d’illustrer une faiblesse de la formation créée par François Legault.
Le commentaire m’a surpris : à l’époque, les troupes de la CAQ étaient en tête dans les sondages et le taux de satisfaction envers le gouvernement était à un niveau très appréciable.
Mais les derniers soubresauts au sein de la Coalition avenir Québec (CAQ) semblent appuyer l’analyse de cet étudiant. Cette coalition devient de plus en plus fragile. Les sondages montrent que les souverainistes reviennent dans le giron du PQ. Du côté fédéraliste, des signes laissent penser que le même phénomène pourrait se produire au profit du Parti libéral du Québec (PLQ) : la course à la chefferie du parti suscite plus d’intérêt que prévu.
J’ai pensé à ces étudiants lorsque j’ai appris le départ du député Youri Chassin, associé à la droite économique et déçu de la façon dont le gouvernement Legault conduit les affaires de l’État, trop central à son goût et loin des promesses faites par François Legault au début de la CAQ. En siégeant comme indépendant, Youri Chassin a retrouvé une liberté de parole qui pouvait parfois agacer le gouvernement… Dans les couloirs de l’Assemblée nationale cette semaine, les députés de son parti lui ont serré la main et salué son courage. À l’interne, on dit qu’il a bousculé son ancienne équipe.
Ce départ s’ajoute à celui, beaucoup plus significatif, de Pierre Fitzgibbon. Grand nom du Conseil des ministres, le « super-ministre » avait annoncé à qui voulait l’entendre au cours de l’été qu’il quittait ses fonctions. Mais l’homme habitué à tout contrôler a voulu choisir son moment, soit en décembre, après l’adoption de son projet de loi sur l’énergie (projet de loi 69). François Legault a toutefois décidé de terminer ce dossier le plus rapidement possible, pour éviter que les rumeurs de démission de Pierre Fitzgibbon ne viennent entraver le travail du gouvernement. Certains spéculeront que le premier ministre a préféré se passer de Pierre Fitzgibbon plutôt que de voir partir Michael Sabia, le PDG d’Hydro-Québec, sachant pertinemment que les deux hommes ne s’entendaient pas…
Au sein d’un caucus, des départs comme celui de Pierre Fitzgibbon provoquent toujours une onde de choc majeure.
Je me souviens de celle avec mon ancienne collègue, la vice-première ministre Nathalie Normandeau, en septembre 2011. Personne ne l’avait vu venir, c’était une surprise totale. Nathalie était la plus aimée du caucus, tout le monde la voyait comme l’héritière présomptive du premier ministre Jean Charest. Elle recherchait toujours le consensus, se souciait de ses collègues députés régionaux (étant elle-même originaire de la Gaspésie, et aussi ministre responsable de cette région ainsi que du Bas-Saint-Laurent)…
Son départ a provoqué une profonde dépression au sein des troupes. Nathalie Normandeau, aujourd’hui animatrice au 98,5 FM, se souvient d’avoir senti que « le caucus souffrait beaucoup – certains départs ont une valeur symbolique ». Les dossiers qu’elle dirigeait étaient très importants pour le gouvernement car ils représentaient sa vision économique. Plan Nord, gaz de schiste, régime forestier, entente avec le gouvernement fédéral sur l’exploration et l’exploitation du gaz dans le Golfe : la « super-ministre » avait beaucoup de pain sur la planche.
Jean Charest lui-même semblait totalement sous le choc, à ses côtés, lors de la conférence de presse. Ce départ était d’autant plus difficile pour lui qu’il avait aussi perdu d’autres grands noms peu de temps avant (Monique Jérôme-Forget en 2009, Jacques Dupuis en 2010), sans compter le décès de Claude Béchard (en 2010).
C’est dans de telles circonstances que le rôle des dirigeants du caucus – leader, président et whip du caucus – devient important, afin d’éviter des réactions en cascade.
Jean Charest, à qui j’ai parlé cette semaine, m’a dit à quel point il faut tout faire pour que les choses se passent bien, pour rassurer à la fois les députés et les électeurs. « Il faut se méfier des départs en désordre, a-t-il dit, car ils sont précurseurs de [mauvais] résultats des élections. » On peut penser ici aux annonces de la série de départs qu’avait reçu Philippe Couillard en 2018…
Mais ce n’est pas tout, selon Jean Charest. « Chaque fois qu’un dirigeant quitte ses fonctions, il doit se poser des questions sur sa façon de faire et, ultimement, sur son avenir. » Et il s’est posé des questions lorsque sa ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, a quitté son poste en pleine crise étudiante de 2012.
Dans les mois qui suivent, plutôt que de quitter le navire, Jean Charest choisit de déclencher des élections générales. Il les perd face à Pauline Marois, mais non sans une bataille acharnée.
À la Coalition avenir Québec, François Legault devra aussi se poser des questions sur la suite des choses. Quatre départs en 24 mois (Joëlle Boutin, Éric Lefebvre, Pierre Fitzgibbon et Youri Chassin la semaine dernière), de mauvais sondages, des députés frustrés de ne pas avoir été nommés au conseil des ministres, des défis budgétaires majeurs à l’horizon… les embûches s’accumulent.
L’homme qui a réussi à faire élire 90 députés en 2022 pourrait-il mener ses troupes vers une troisième victoire ? Pour y parvenir, il lui faudrait encore garder en place les morceaux de la coalition qu’il a forgée. Le départ de Pierre Fitzgibbon, l’incertitude sur l’avenir d’Éric Girard et de Christian Dubé à la fin du mandat actuel, la déception de Youri Chassin, voilà autant d’éléments qui ne l’aideront pas nécessairement à se convaincre que les choses iront bien.