Chaque dimanche, le‘équipe de Nouvelles vous invite à lire (ou relire) dans sa newsletter Miroir l’un des reportages les plus marquants de la riche histoire du magazine. Vous pourrez ainsi replonger au cœur de certaines problématiques du passé, avec la perspective d’aujourd’hui.
Marie Laberge en était à son troisième roman lorsqu’elle rencontra la journaliste Hélène de Billy un matin d’automne 1994. Elle n’avait pas encore publié Le goût du bonheurune trilogie de 2 000 pages qu’elle a créée en à peine neuf mois et qui s’est vendue à ce jour à plus d’un million d’exemplaires – qui verra le jour six ans plus tard. Mais déjà, à l’époque, l’écrivain à la chevelure spectaculaire était un phénomène.
Ses pièces – elle en a écrit une vingtaine depuis le début des années 1980 – ont été largement traduites et produites à l’international. Elle a quelques distinctions en poche, dont un Prix du Gouverneur général et le titre de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres de France. Et son deuxième roman, Quelques adieux, se vend comme des petits pains chauds.
Il n’en demeure pas moins que la presse la méprise. Les journalistes comparent ses histoires à des « Arlequins de luxe » – on lui reproche son style trop bavard, son écriture simple, ses thèmes conventionnels. Quant à ses pièces, elles ressemblent à de mauvais feuilletons, soutient Robert Lévesque, critique quotidien Devoir. Les attaques furent si graves qu’elles contribuèrent à l’amener à abandonner l’écriture dramatique au début des années 1990 (elle y reviendra plus tard, avec Charlotte, ma sœurcréé en 2005).
La forte personnalité de l’auteur est également dénigrée. Elle est excessivement prolifique, dort trop peu, cultive les manières d’une comédienne – ce qu’elle est littéralement, puisqu’elle a obtenu son diplôme en 1975 au Conservatoire d’art dramatique de Québec. Elle parle beaucoup, veut tout gérer, s’occupe de sa propre entreprise, n’hésite pas à se promouvoir. Cela fait beaucoup de défauts pour une femme.
D’autres critiques viendront plus tard. Les journalistes ont douté de la sincérité de ses convictions souverainistes lorsqu’elle a participé, lors du référendum de 1995, à la rédaction du préambule de la Loi sur l’avenir du Québec. De plus, l’industrie du livre lui en a voulu lorsqu’elle a décidé de vendre ses ouvrages en version numérique directement depuis son site personnel en 2013, alors que la pratique de l’autoédition en était à ses balbutiements.
Aujourd’hui, la valeur littéraire de l’œuvre de Marie Laberge, qui compte une quarantaine de titres, est moins contestée, note dans sa thèse de doctorat Chantal Savoie, professeure au Département d’études littéraires de l’UQAM, qui s’intéresse à la réception critique (souvent condescendante) de la production romanesque des auteurs de best-sellers au Québec.
On souligne son talent exceptionnel de conteuse, sa capacité à susciter l’émotion, l’importance des thèmes qu’elle aborde — l’inceste, les féminicides, le suicide et tout récemment l’aide médicale à mourir, au cœur de son roman. Dix jours (déjà à la première place du classement Renaud-Bray d’ailleurs). Son énorme succès auprès des lecteurs ne rime plus avec médiocrité ; les élites lui accordent une certaine crédibilité.
«Vous vous êtes hissé au niveau des écrivains populaires, dans le sens le plus noble du terme», lui a dit ce printemps l’animateur Patrice Roy lors d’une importante entrevue au journal télévisé de Radio-Canada, tout en rappelant le mépris et la suspicion dont elle avait été l’objet. objet.
Interrogée à ce sujet, la romancière de presque 77 ans sort toujours de sa manche cette phrase d’Albert Camus, l’un de ses mentors : « Ceux qui écrivent obscurément ont beaucoup de chance : ils auront des commentateurs. Les autres n’auront que des lecteurs, ce qui paraît méprisable. »
Une façon de guérir une estime de soi meurtrie, peut-être, en s’accrochant à ce qui compte le plus pour lui. « Pour moi, c’est la plus grande chance au monde de toucher quelqu’un, de faire surgir quelque chose qui grondait en lui, quelque chose qui n’était pas nommé », confiait-elle à Patrice Roy. Combien de fois on m’a dit : « Tu as nommé ma douleur, parce que tu m’as donné des mots pour comprendre ce qu’il y avait en moi. » C’est tout ce qui m’intéresse. Le reste, s’il y a des thèses universitaires sur mon travail, ils le feront quand je serai mort, s’ils ne veulent pas le faire maintenant. Je ne sais pas pourquoi, c’est comme ça. »
Bonne lecture,
Marie-Hélène Proulx, journaliste à Nouvelles
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