Chaque dimanche, le‘équipe de Nouvelles vous invite à lire (ou relire) dans sa newsletter Miroir l’un des reportages les plus marquants de la riche histoire du magazine. Vous pourrez ainsi replonger au cœur de certaines problématiques du passé, avec la perspective d’aujourd’hui.
Ces jours-ci, des dizaines de milliers de Québécois s’affairent à faire leurs valises pour mettre le cap sur « Miami, PQ », à l’image des impressionnants troupeaux d’outardes fuyant un hiver dont on ne peut encore voir la couleur en ce mois de novembre avec une clémence sans précédent.
Comme pour beaucoup d’entre vous sans doute, la Floride a toujours fait partie de mon univers – c’est sur une plage de Hallandale, dans la banlieue de Miami, que j’ai fait mes premiers pas, en janvier 1976. Je suis toujours nostalgique des soirées slide que mes grands-parents Taillefer organisaient à leur retour du paradis de l’orange, des séances au cours desquelles les mille et une vertus des supermarchés Publix étaient invariablement évoquées.
L’engouement particulier des Canadiens français pour les cocotiers du « Sunshine State » est une histoire passionnante qui a fait l’objet de travaux scientifiques, notamment du géographe Rémy Tremblay, auteur de Vie et mort du petit Québec en Floride (L’Harmattan, 2022). Déjà, au début du siècle dernier, l’élite québécoise s’y rendait par train, seul mode de transport accessible à l’époque. Un voyage de plus d’une semaine qui a inclus, entre autres, Wilfrid Laurier, premier ministre du Canada de 1896 à 1911, sans doute l’un des plus illustres les snowbirds.
Mais c’est surtout à partir des années 1960 que les Québécois investissent massivement en Floride, notamment ces trois villes de la côte sud-est de l’État — Hallandale, Dania et Hollywood — devenues si populaires auprès des vacanciers que ce territoire de 5 km a hérité du surnom de « Floribec ».
Lorsque la journaliste Louise Gendron y est arrivée au début des années 1990 pour une « poutine patrouille » – c’est ainsi qu’un douanier américain, plus détendu que la moyenne, résume le but de sa visite – près de 1 Québécois sur 10 se rend en Floride chaque année, certains pour de courts séjours, d’autres pour plusieurs mois. En additionnant ceux qui ont choisi de s’y installer définitivement, notamment pour y tenir des motels et des bars où Michel Louvain et Michèle Richard effectuent leurs tournées de chants scintillants, c’est la plus grande communauté francophone d’Amérique. en dehors de la Belle Province.
Les Floribécois, souvent monolingues français issus de la classe ouvrière, font l’objet de moqueries un peu méchantes de la part des Américains, constate le journaliste, entre autres à cause de leur penchant pour les Speedos. Mais le « grenouilles » s’en moquent, tant leur quotidien au soleil les enchante. Ici, c’est comme à la maison, mais chaleureux : il y a une caisse populaire Desjardins, des médias en français, des restaurants où l’on est servi dans leur langue, des commerces qui vendent des cretons, de la tourtière, du fromage en grains. Dans les cabarets du ghetto, « personne ne trouve inhabituel d’avoir payé 10 dollars américains pour entendre Inoubliable chanté avec un accent sorelien», écrit Louise Gendron.
Depuis son reportage, la mort de Floribec a été annoncée cent fois. À partir des années 2000, les motels kitsch abordables de l’avenue Collins où logeaient les Québécois ont été rasés pour laisser la place à de hautes tours à condos, dont les Trump Towers. Il faut aussi voir le magnifique documentaire sur ce sujet Le dernier motelde Judith Plamondon, diffusé plus tôt cette année à Radio-Canada, qui raconte les derniers jours du Thunderbird, un établissement fétiche des Floribécois. Michèle Richard fuit désormais Miami, apprend-on, car les gratte-ciel jettent une ombre sur la plage.
Il y a néanmoins une nouvelle génération : cet hiver, on pourra voir Gregory Charles, Marthe Laverdière et 2Frères au cabaret Dania Improv, à Dania Beach. Il faut dire que selon les données de 2023, 821 000 Tremblay, Séguin ou Lévesque arrivent encore chaque année au royaume des alligators, qui demeure aussi la terre d’accueil de la plus grande diaspora québécoise au monde, soulignait en octobre dernier Isabelle Dessureault, de la marque nouveau délégué du Québec à Miami (poste qui vient d’être créé).
Le journal Le soleil de Floridefondée en 1983, apparaît encore chaque semaine d’octobre à avril, le restaurant Frenchie’s, véritable institution, continue de servir poutine et viande fumée de Montréal en français, la communauté québécoise Les Snowbirds en Floride compte maintenant 92 500 membres sur Facebook et le podcast La Florida – Le Podcast – Snowbird 2.0 en est à sa deuxième saison. Bref, Floribec a la peau dure, il résiste aux pires ouragans. Et ce délicieux reportage donne définitivement envie de siroter un Zombie en tongs dans un tiki bar de motel.
Bonne lecture !
Marie-Hélène Proulx, journaliste
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