Il y a un an (presque) jour pour jour, Nouvelles a publié une enquête québécoise de Pallas Data qui sortait complètement du champ gauche. Pour la première fois depuis l’arrivée au pouvoir de la CAQ en 2018, le parti de François Legault avait glissé au deuxième rang des intentions de vote au Québec, derrière le Parti québécois.
Était-ce une aberration statistique ? Alors que l’enquête était encore en cours, le PDG de Pallas Data m’a contacté par téléphone : « Euh, Philippe ? Il se passe quelque chose”, m’a-t-il dit. Le sondage avait déjà recueilli plus de la moitié de l’échantillon prévu et, à la surprise du sondeur, le Parti québécois avait pris la tête des chiffres préliminaires.
Naturellement, l’enquêteur torontois se grattait la tête en examinant les résultats partiels de son travail de sondage d’opinion publique, pensant qu’il avait peut-être commis une erreur quelque part. Deux mois plus tôt, en septembre 2023, Pallas Data avait plutôt enregistré une avance de 15 points pour la CAQ par rapport au PQ. Il s’agissait donc d’un revirement à la fois soudain et inattendu.
En effet, peu d’observateurs avaient vu venir ce renversement de tendance au Québec, malgré les déboires de la CAQ au cours de l’année 2023. Quand le même parti trône en tête des intentions de vote depuis plusieurs années – et dans le cas de la CAQ, souvent avec des marges écrasantes — une trame narrative s’établit et se cristallise. Depuis longtemps (avant, pendant et après la pandémie), la CAQ avait acquis une certaine aura d’invincibilité. Cependant, l’aura venait de s’évaporer.
Deux semaines plus tard, en décembre 2023, un sondage Léger réalisé pour le compte du média Quebecor confirmait cette tendance en faveur du PQ. Depuis, le parti indépendantiste a surclassé ses rivaux dans tous les sondages publiés en 2024 (voir la liste des sondages dans le tableau ci-dessous).
Le plus récent sondage Léger, publié la semaine dernière, a particulièrement nui aux projections de la CAQ. Avec 14 points de retard sur le PQ au niveau national, dont 20 points de retard sur la majorité francophone, la CAQ se retrouve dans la position inconfortable de notre mode de scrutin : celui d’un parti dont les appuis sont géographiquement répartis et dont plusieurs partisans ont migré vers un seul groupe rival.
Si ce scénario vous semble familier, c’est parce que nous en avons été témoins lors de l’élection québécoise de 2022. Le PQ, avec près de 15 % des voix, n’a récolté que trois maigres sièges — le pire résultat de son histoire — alors que la CAQ avait passé au peigne fin la quasi-totalité du Québec francophone, y compris les régions historiquement favorables au Parti québécois. : Montérégie, Laurentides, Lanaudière, Saguenay, Côte-Nord, Bas-Saint-Laurent et Abitibi.
Cependant, depuis cette élection, trois partis sont essentiellement restés immobiles (le PLQ, le QS et le PCQ), donc deux partis ont échangé une quinzaine de points, soit la CAQ et le PQ. Résultat : la plus récente projection de sièges du modèle électoral Qc125 (publiée le 15 novembre 2024) place le PQ en territoire majoritaire et la CAQ pratiquement au bord de l’extinction.

À quelques exceptions près (comme une potentielle délégation pour le PCQ), ces données se rapprochent des résultats des dernières élections avec des chiffres inversés pour la CAQ et le PQ.
Ce n’est pas un hasard : les segments d’électeurs qui ont fortement contribué à porter la CAQ au pouvoir, soit la majorité francophone, les électeurs plus âgés et les électeurs des banlieues de Québec et de Montréal, ont tourné le dos à la CAQ et soutiennent désormais la PQ en plus.
Si des élections avaient lieu cet automne, compte tenu des tendances actuelles, la CAQ serait au bord de l’effondrement.
Certes, les élections n’ont lieu que dans 22 mois, ce qui laisse largement le temps d’inverser ces tendances. Mais il est également temps que les tendances actuelles se calcifient. Le gouvernement caquiste jouit d’un taux de satisfaction similaire à celui de Justin Trudeau au niveau fédéral, et peu d’observateurs prédisent un retour en force du PLC à temps pour les prochaines élections au pays. En politique, les tendances à la baisse font souvent effet boule de neige, en particulier lorsque les gouvernements approchent de la fin de leur deuxième mandat.
Il n’est évidemment pas impossible que la CAQ puisse se redresser, mais les précédents sont rares dans l’histoire politique du Québec. La dernière fois qu’un parti a remporté trois majorités consécutives, c’était en 1952, lorsque Maurice Duplessis et l’Union nationale conservaient le pouvoir à l’Assemblée législative du Québec.
La CAQ lutte donc non seulement contre ses rivaux du Salon rouge, mais aussi contre les tendances de près d’un siècle de politique, ainsi que contre l’inévitable usure du pouvoir qui finit par avoir raison de tout gouvernement démocratiquement élu, peu importe ce qui se passe. peu importe sa popularité à son apogée.