Docteure en communications publiques, Émilie Foster est professeure agrégée de politique appliquée à l’Université Carleton. Ses recherches portent principalement sur les partis politiques, la démocratie et la communication politique. Elle a été membre du gouvernement de la Coalition Avenir Québec de 2018 à 2022. Elle avait auparavant été conseillère politique au sein du cabinet de François Legault dans l’opposition.
La mise à jour budgétaire du ministre des Finances Éric Girard du 21 novembre met en lumière les défis financiers qui attendent le gouvernement Legault. Combinés à d’autres éléments du contexte politique, ils pourraient rendre les deux prochaines années particulièrement délicates pour la Coalition Avenir Québec (CAQ).
Le premier problème réside dans la croissance projetée des dépenses départementales. Fixé à 6,5% pour l’année en cours, il devrait descendre à 2,1% en 2025-2026, puis à 1,6% en 2026-2027. Cependant, les coûts du système (comme les augmentations de salaire et la progression des niveaux de salaire prévus dans les conventions collectives, ainsi que l’inévitable augmentation des coûts comme l’assurance des bâtiments et l’achat d’équipements) seront inévitablement supérieurs à cette croissance du portefeuille. budgets. On estime généralement qu’une augmentation d’environ 3 % est nécessaire pour couvrir la croissance normale des coûts.
Il est donc légitime de se demander comment le gouvernement pourra réduire de manière aussi significative l’augmentation des dépenses de portefeuille sans sacrifier les services publics. La relance budgétaire va-t-elle se transformer en période d’austérité ?
Le gouvernement Couillard avait payé le prix de la « rigueur budgétaire » imposée de 2014 à 2016 : la croissance des dépenses en missions gouvernementales avait été limitée à 1,4 % et 1,1 % durant deux exercices budgétaires. Malgré un retour à l’équilibre budgétaire avant la fin de son mandat et une réinjection importante de fonds dans les portefeuilles avant les élections de 2018, le mal a été fait dans l’opinion publique. À l’inverse, la CAQ, avec une croissance budgétaire limitée à 1,6 % en 2026-2027, année électorale, et un retour à l’équilibre budgétaire promis pour 2029-2030, ne pourra pas compter sur un tel contexte. favorable lorsque les électeurs se rendront aux urnes en 2026.
Où peut-on faire des coupes ? La mise à jour budgétaire démontre que le ministre des Finances poursuit ses efforts « d’optimisation fiscale » : cette fois, nous modifions le crédit d’impôt pour prolongation de carrière dont l’âge d’éligibilité est porté de 60 à 65 ans. Le Québec économisera près de 890 millions sur cinq ans grâce à ce changement. À ces efforts, il faut ajouter ceux de Sonia LeBel, présidente du Conseil du Trésor, qui procède à une revue rigoureuse des dépenses publiques avec les ministères, affirmant vouloir s’en tenir aux dépenses « vraiment nécessaires ». C’est probablement dans cet exercice actuel que réside le nœud de la question de la compression des dépenses, mais à quel prix ?
Les premiers efforts budgétaires apparaissent, et leurs effets ne passent pas inaperçus. Les établissements d’enseignement supérieur et le réseau de la santé suspendent les travaux d’entretien, de réparation ou de nouvelles infrastructures afin de respecter leurs budgets. Notre infrastructure vieillissante a cependant besoin de réparations.
Un gel des recrutements et une interdiction des heures supplémentaires sont décrétés dans la fonction publique. Le gel ne s’applique pas aux réseaux de la santé, de l’éducation et de l’enseignement supérieur, à l’exception du personnel administratif. Or, dans le domaine de la santé, si le recrutement pour les postes de soutien administratif des médecins ou des infirmiers est gelé, cela risque d’avoir des répercussions sur les services aux patients. Au ministère des Transports, le gel et l’interdiction des heures supplémentaires ont des conséquences. Plusieurs médias régionaux font état de retards dans les travaux routiers. En Outaouais, par exemple, les travaux du boulevard des Allumettières, l’artère principale de Gatineau, ont été reportés. Les restrictions affectent également les services de francisation dans les centres de services scolaires, ce qui menace de ralentir l’intégration des nouveaux arrivants. Les règles budgétaires du ministère de l’Éducation plafonnent le nombre de postes équivalents temps plein (ETP) au niveau de 2021, alors que la demande de francisation a depuis explosé. La création de classes par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration progresse à un rythme insuffisant pour compenser les réductions opérées dans les centres scolaires.
Le gouvernement doit s’assurer que les coupes faites par les ministères ne se limitent pas aux infrastructures et à l’embauche. Qu’en est-il de l’efficacité des programmes et du « gras » qui pourrait être éliminé dans la fonction publique ? La présidente du Conseil du Trésor donnera ses réponses en marge du prochain budget en mars, mais la question est cruciale.
Si les perspectives budgétaires menacent de compliquer la fin du mandat caquiste, d’autres écueils, d’ordre politique, pourraient brouiller encore davantage le tableau. Car la lassitude envers le gouvernement Legault semble bien réelle.
Avec un taux de satisfaction de 32 % des Québécois à l’égard du travail du gouvernement Legault, selon un récent sondage Léger, les prochaines élections complémentaires à Terrebonne et Arthabaska (où une partielle sera probablement déclenchée après l’élection fédérale de 2025) pourraient donner à la CAQ les stratèges traversent une période difficile. À Terrebonne, les chances d’une victoire péquiste semblent fortes. À Arthabaska, la lutte s’annonce serrée entre le Parti québécois, la CAQ et le Parti conservateur du Québec (le chef Éric Duhaime envisage également de s’y présenter).
Un autre élément majeur pourrait bousculer le paysage politique. L’élection d’un nouveau chef du Parti libéral du Québec pourrait en effet entraîner une amélioration pour ce parti et capter l’attention des électeurs fédéralistes déçus par la CAQ, notamment en région et en banlieue.
Tout n’est toutefois pas noir pour la CAQ. Certains facteurs pourraient jouer en faveur du gouvernement. Une performance économique meilleure que prévu offrirait une marge de manœuvre financière précieuse. À l’inverse, des événements extérieurs, comme la menace de Donald Trump de tarifs douaniers de 25 %, pourraient être intelligemment exploités.
Cette mesure serait dommageable pour le Québec si elle était mise en œuvre, mais la CAQ pourrait en profiter en attribuant les difficultés économiques à l’administration américaine. Dans un tel contexte, François Legault aurait aussi l’occasion de démontrer son leadership économique et sa capacité à naviguer en eaux tumultueuses.
De plus, un important remaniement ministériel suivi d’un discours d’ouverture ambitieux pourrait insuffler un nouveau souffle à son gouvernement. Mais sans marge de manœuvre budgétaire significative, une telle initiative constitue tout un défi.
Les stratèges de la CAQ ont un travail colossal devant eux. La politique étant imprévisible, les hypothèses actuelles peuvent s’avérer obsolètes face à l’évolution des circonstances et des événements, ainsi qu’aux erreurs majeures commises par les adversaires. À moins de deux ans de la date limite des élections, la CAQ se trouve à un carrefour critique où chaque décision comptera.