Nouvelles et Éducaloi unissent leurs forces pour clarifier les questions juridiques de votre quotidien. Marc-Antoine Bernier est notaire et vulgarisateur juridique chez Éducaloi. La loi évolue constamment. Les informations légales contenues dans ce texte étaient valables au 10 janvier 2025. Ce texte est informatif ; cela ne constitue pas un avis juridique. Éducaloi est un organisme à but non lucratif dont la mission est de vulgariser le droit et de développer les compétences juridiques de la population québécoise.
Un employeur a-t-il le droit d’empêcher un de ses anciens employés de travailler pour tout concurrent potentiel, partout au Québec, quel que soit le poste occupé ? C’est ce qu’a dû trancher un juge lorsqu’un grand journal québécois a décidé de poursuivre un ancien employé, au motif que celui-ci avait violé la clause de non-concurrence incluse dans son contrat de travail.
Cet homme a été recruté comme vice-président des ventes de ce journal en 2016. Lors de la signature de son contrat de travail, il a constaté que son nouvel employeur avait inséré une clause de non-concurrence et de confidentialité, une pratique courante dans le domaine, qu’il a signée sans vérifier ce qui il contenait.
En 2019, insatisfait de la direction prise par l’entreprise et du contexte économique, différent de ce qui lui avait été promis, il accepte un poste de responsable des recettes publicitaires dans un autre grand groupe de médias. Il examine alors plus attentivement la clause de non-concurrence et se rend compte qu’elle est très restrictive. Il prévoit qu’à la fin de son emploi au journal, l’homme ne pourra, pendant un an, offrir ses services à une entreprise œuvrant dans la vente d’espaces publicitaires au Québec, ni y participer directement ou indirectement. , en tant que salarié, associé, associé ou actionnaire.
Bref, cette clause empêche un salarié qui s’apprête à démissionner d’exercer sa profession au Québec pendant un an. Après en avoir pris connaissance, le responsable des affaires juridiques de son futur employeur considère que cette clause trop restrictive est illégale. Rassuré, l’homme accepte l’offre et quitte son emploi au journal.
Le droit de gagner sa vie
Lorsque l’ex-employeur a appris que l’homme avait rejoint les rangs d’un autre groupe de médias, il a engagé des poursuites judiciaires contre son ancien salarié pour non-respect de la clause de non-concurrence. L’homme conteste ce fait, affirmant que la clause en question est illégale et que son ex-employeur abuse des recours légaux. Le juge est d’accord avec l’homme. Selon lui, la société propriétaire du journal aurait dû savoir que son accord de non-concurrence était excessif. Interdire à un ancien employé d’exercer toute profession, même marginalement liée à son domaine, pendant un an et partout au Québec, équivaut à l’empêcher de gagner sa vie.
Dans sa décision, le magistrat a précisé que la clause était illégale à première vue et que toute poursuite était d’emblée vouée à l’échec. Pour ces motifs, il déclare la procédure abusive et ordonne à l’ex-employeur de rembourser à son ancien employé tous les frais juridiques avec intérêts, s’élevant à près de 200 000 $. De plus, le juge a ajouté 5 000 $ supplémentaires pour payer le stress et les désagréments subis. L’homme a pu continuer à travailler pour son nouvel employeur.
Limites obligatoires
Le Code civil du Québec impose des règles très strictes pour qu’une clause de non-concurrence soit valide. L’objectif est de concilier l’intérêt légitime de l’employeur à ne pas qu’un ancien employé détenant des informations confidentielles aille travailler pour un concurrent avec le droit de cet ancien employé de gagner sa vie. Pour ces raisons, une clause de non-concurrence doit être limitée dans le temps, ainsi qu’en ce qui concerne le territoire couvert et le type d’emploi.
La loi ne précise pas de délai ni de distance raisonnable. La plupart des jugements en la matière montrent que chaque clause de non-concurrence est unique et que la détermination de son illégalité ou non se fera au cas par cas.
Concernant le jugement précédent, le principal problème résidait dans le type d’emploi à ne pas accepter. La clause de non-concurrence empêchait non seulement l’ex-employé de travailler pour un concurrent, mais garantissait qu’il ne pourrait pas occuper un emploi dans son domaine.
Le juge a souligné que l’interdiction était si étendue que l’ex-employé ne pouvait même pas travailler pour l’organisation des Canadiens de Montréal, puisque celle-ci vend des espaces publicitaires dans son amphithéâtre. Toutefois, cela n’aurait en aucun cas concurrencé les activités de son ancien employeur, ce qui montrait le côté déraisonnable des restrictions qui lui étaient imposées.
Et en cas de licenciement ?
La loi prévoit une situation exceptionnelle, dans laquelle une clause de non-concurrence ne s’applique plus : si l’employeur licencie son salarié sans motif sérieux, la clause n’est plus valable et le salarié peut travailler immédiatement pour n’importe quel concurrent.
Une entreprise lavalloise spécialisée dans l’implantation de solutions de commerce électronique pour véhicules automobiles l’a découvert en 2012. Elle avait congédié un de ses employés, également actionnaire de l’entreprise, en 2010. L’employé en question estimait que son congédiement n’était pas justifié et , un peu plus de six mois plus tard, il relance sa propre entreprise, qui concurrençait directement les activités de son ancien employeur.
Près d’un an plus tard, l’ancien employeur a engagé une procédure judiciaire pour s’assurer que son ancien salarié respectait l’engagement de non-concurrence. Cet engagement prévoyait qu’un ancien actionnaire ne pourrait concurrencer l’entreprise sur le territoire canadien pendant une période de deux ans suivant la date de vente de ses actions.
Dans sa décision, le juge a rejeté la demande de l’ancien employeur. Parmi les motifs évoqués, il a souligné que les preuves qu’il avait laissées laissaient planer un doute quant aux motifs du licenciement du salarié. Le droit de l’employeur de faire valoir la clause dans ces circonstances apparaît donc « douteux », selon le juge.
La responsabilité de l’employeur
Le Code civil du Québec établit les conditions de validité des clauses de non-concurrence et place le fardeau de prouver cette validité sur les épaules de l’employeur. En cas de litige, ce n’est pas le salarié qui doit prouver le caractère déraisonnable de la clause de non-concurrence, c’est l’employeur qui doit démontrer sa légitimité.
Ce principe est bien illustré dans le cas d’un ingénieur qui a démissionné en 2008 de son poste de « directeur de l’ingénierie » dans une entreprise de Victoriaville. L’homme, qui était à l’emploi de l’entreprise depuis moins d’un an, est parti devenir consultant dans une firme ayant des liens d’affaires avec cette entreprise de Victoriaville.
Le départ s’est déroulé dans le calme, mais un an plus tard, les relations se sont tendues et l’ancien employeur a poursuivi l’ingénieur en justice pour qu’il cesse de travailler pour ce cabinet de conseil, en vertu d’une clause de non-concurrence incluse dans le contrat de travail qu’il avait alors signé. Cette clause prévoyait que le salarié ne devait pas, directement ou indirectement, sous quelque forme que ce soit, travailler pour une entreprise concurrente de l’employeur. Le délai était de deux ans et s’appliquait sur tout le territoire du Québec.
L’employeur a tenté de démontrer que la clause était bel et bien valide. Son ancien employé était un cadre qui avait accès aux secrets de fabrication de l’entreprise, en plus de bien connaître ses clients et ses projets. L’entreprise opérait principalement dans le secteur de l’efficacité énergétique des fromageries, un marché très restreint selon elle. Pour ces raisons, elle a affirmé qu’un délai de deux ans et une interdiction de concourir partout au Québec étaient raisonnables et respectaient la loi.
Mais le juge n’a pas accepté ces allégations. Dans sa décision, il a déclaré nul chaque élément de la clause de non-concurrence. La clientèle de l’entreprise n’était certainement pas celle de tout le Québec, elle était concentrée dans quelques régions. Il aurait donc fallu limiter l’interdiction aux territoires où l’ex-salarié aurait été en concurrence directe avec son ancien employeur.
Le juge a ajouté que la durée de deux ans était excessive et violait le droit de l’ingénieur d’exercer sa profession. Il travaillait depuis moins d’un an chez son ancien employeur et allait désormais devoir se retrouver sans emploi pendant deux ans ou changer de domaine.
Enfin, concernant les limitations liées au type d’emploi à occuper, le juge a conclu que la restriction de ne pas concurrencer d’aucune manière l’ex-employeur était si large que l’employé ne pouvait pas deviner s’il avait enfreint ou pas. Une clause de non-concurrence doit décrire avec précision le type de travail que le salarié ne pourra pas effectuer après son départ.
Pour toutes ces raisons, le juge a déterminé que la clause de non-concurrence allait bien au-delà de ce qui était raisonnable. Il l’a déclarée invalide.
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