Aujourd’hui président-directeur général de la Fondation du Grand Montréal, Karel Mayrand est depuis 25 ans un observateur privilégié des enjeux environnementaux.
Juste avant les vacances, une nouvelle qui donne de l’espoir est passée plus ou moins inaperçue. Les émissions de GES du Canada ont chuté en 2023 à leur niveau de 1997, il y a 27 ans ! Dans l’ambiance glauque d’une nouvelle présidence Trump et de la montée des groupes politiques anti-écologiques au Canada et en Occident, cette nouvelle fait l’effet d’une grande bouffée d’air frais. Les politiques climatiques fonctionnent, contre toute attente.
Il faut prendre le temps d’évaluer attentivement ce qui a été accompli au Canada au cours des dernières années. 1997 est l’année de sortie du film Titanesquecelui de la mort de la princesse Diana. C’est avant les attentats du 11 septembre 2001, avant le smartphone et les réseaux sociaux. C’était l’époque où l’on utilisait encore les cartes routières et les téléphones fixes, où l’on insérait 24 ou 36 films de pose dans nos appareils photo. Nos téléviseurs étaient de gros cubes et nous pouvions enregistrer nos émissions préférées sur des cassettes VHS. La majorité des joueurs de l’édition actuelle du Canadien ne sont pas nés.
Depuis, la population du Canada a augmenté de 33 % et son PIB a plus que triplé. La production pétrolière du pays a plus que doublé entre 1990 et 2022, et les émissions du secteur pétrolier ont augmenté de 83 %. Le nombre de véhicules en circulation dans le pays a augmenté de 50% pour atteindre 25,7 millions. Réduire les émissions dans ces conditions, c’est comme faire un triathlon avec un vent contraire et nager à contre-courant dans une rivière.
Depuis leur sommet en 2007 à 774 mégatonnes (Mt), les émissions du Canada ont diminué d’un peu plus de 10 % en 16 ans, et cette réduction s’accélère avec l’entrée en vigueur des mesures adoptées par le gouvernement Trudeau, dont la tarification du carbone, l’élimination progressive du charbon, le soutien aux énergies renouvelables, à l’efficacité énergétique et aux véhicules zéro émission, ainsi que la réglementation des émissions de méthane, pour n’en nommer que quelques-uns.
Il faut toutefois nuancer ce succès. Premièrement, une partie des réductions réalisées au cours des 25 dernières années provient de la délocalisation de notre production industrielle vers la Chine et d’autres pays, ce qui a déplacé le problème ailleurs. Ensuite, nous sommes encore loin des réductions d’émissions qui seront nécessaires pour atteindre la neutralité carbone en 2050. En gros, il faudrait quintupler le rythme, passant de 5 Mt de réduction par an depuis 2007 à 25 Mt par an d’ici 2050. cela ne se fera pas sans de profondes transformations de nos systèmes énergétiques, de nos modes de transport et de l’aménagement de nos villes. La tâche est titanesque, mais pas impossible, et comme toute grande transformation, elle s’accompagnera de son lot d’adaptations au changement. Ce que nous appelons aujourd’hui l’économie verte est largement insuffisant et ne fait qu’effleurer la surface des transformations profondes nécessaires pour atteindre nos objectifs.
Malgré ce constat, nous pouvons tirer plusieurs enseignements des 27 dernières années, qui tracent le cap des 27 prochaines années. Premièrement, il est désormais confirmé qu’il est possible d’allier prospérité économique et lutte contre le changement climatique. Le Canada, quatrième producteur mondial de pétrole, a triplé son PIB (principalement grâce au secteur des services) sans augmenter ses émissions. Ce n’est pas rien. Ensuite, des politiques climatiques bien conçues qui prennent en compte toutes les émissions du pays et produisent les résultats escomptés. En doublant notre ambition, il est possible de mettre en œuvre des politiques fiscales, réglementaires et financières qui accéléreront le rythme.
Et justement, autre constat, c’est que la transition énergétique s’accélère, sous l’effet non seulement des politiques publiques, mais aussi des technologies vertes désormais compétitives et souvent encore plus abordables que les options fossiles. L’énergie solaire et éolienne est désormais moins chère que le charbon, les véhicules électriques coûtent le même prix que les véhicules à essence si l’on prend en compte leurs coûts de fonctionnement. Ces avancées technologiques et économiques se combinent actuellement pour nous rapprocher d’un point de bascule qui verra le changement s’accélérer de manière irréversible.
Prenons l’exemple de la bonne vieille ampoule à incandescence inventée par Thomas Edison. Elle a dominé nos maisons pendant plus d’un siècle avant d’être remplacée par les ampoules LED qui consomment 75 à 85 % d’électricité en moins pour remplir la même fonction. En quelques années, les ampoules à incandescence ont disparu des rayons. Deux facteurs se sont combinés pour provoquer ce basculement : la baisse du prix des ampoules LED, qui les ont rendues abordables, et l’interdiction des ampoules à incandescence. La même chose est sur le point de se produire avec les véhicules électriques, qui remplaceront les véhicules à essence en 2035, et avec les énergies renouvelables qui remplaceront le charbon et, à terme, gaz.
Une dernière observation s’impose. Le principal obstacle à la lutte contre le changement climatique n’est plus économique ou technologique. Il est politique. Le mouvement conservateur nord-américain prône l’aveuglement idéologique à l’égard de la science du climat et maintient la polarisation pour ralentir l’action climatique. La question climatique est vitale pour la sécurité des Canadiens, en plus de constituer la plus grande opportunité économique de notre génération. Mettons-nous d’accord sur l’objectif et discutons ensuite des meilleurs moyens d’y parvenir.
J’avais 25 ans, en 1997, lorsque j’ai fait mes premiers pas en tant que militant écologiste. Je me souviens avoir donné à l’époque des conférences sur le climat devant une poignée de personnes avec des amis militants comme Steven Guilbeault, aujourd’hui ministre de l’Environnement. En 2019, il y avait un demi-million de personnes dans les rues avec Greta Thunberg. J’ai maintenant 52 ans et j’ai passé le dernier quart de siècle à essayer de faire avancer nos émissions de GES. Le chemin que nous avons parcouru est incroyable et montre que nous détenons entre nos mains les moyens de décider de l’avenir que nous voulons. C’est une question de conviction, de détermination et de travail. J’aurai 77 ans en 2050, dans 25 ans, et je suis convaincu que nous vivrons dans un monde sans énergies fossiles.