Karl Bélanger a travaillé pendant près de 20 ans sur la Colline parlementaire à Ottawa, notamment comme attaché de presse principal de Jack Layton et secrétaire principal de Thomas Mulcair. Il a ensuite été directeur national du NPD avant de mettre fin à sa carrière politique à l’automne 2016. En plus d’agir comme commentateur et analyste politique à la télévision, à la radio et sur le Web, Karl est président de Traxxion Strategies.
La longue descente aux enfers de Justin Trudeau, qui s’est transformée en crise avec la démission de Chrystia Freeland, n’est pas terminée. Il reste un dernier chapitre dans la vie politique du Premier ministre.
Car bien qu’il ait annoncé sa démission, Justin Trudeau reste toujours en poste jusqu’à ce que son successeur à la tête du Parti libéral du Canada, et donc comme premier ministre du pays, soit choisi. Il doit donc continuer à gouverner.
Malheureusement pour lui, ce sera difficile. Au sud de la frontière, le président élu Donald Trump joue fort et profite du moment pour semer la panique au Canada. Les réponses de Justin Trudeau tombent à plat, moquée notamment par Elon Musk, selon qui Trudeau n’intéresse plus personne.
La capacité du gouvernement à intervenir et à agir pour défendre le pays dans ce contexte de tensions est désormais limitée. La gouverneure générale du Canada, Mary Simon, a accepté la demande du premier ministre de proroger le Parlement. La session parlementaire est terminée, les travaux sont terminés. Tous les projets de loi restants et autres affaires en suspens sont morts au Feuilleton. Les commissions parlementaires ne peuvent plus siéger. Il faudra tout recommencer à notre retour à la Chambre des communes, prévu le 24 mars – mais cette date pourrait changer.
Évidemment, les pouvoirs du gouvernement ne se limitent pas à légiférer. En cas de crise, il peut agir. La machine gouvernementale continue de fonctionner avec les programmes déjà en place. Et plus encore : l’Agence du revenu a par exemple annoncé qu’elle allait modifier les taux d’inclusion des plus-values, même si la mesure n’a pas encore été adoptée par le Parlement – une façon de faire qui frise l’inconstitutionnalité. Quant aux chèques de 250 $ destinés à couvrir l’augmentation du coût de la vie, ne vous précipitez pas pour les dépenser prématurément : on n’en verra jamais la couleur.
Que Justin Trudeau reste en poste comme premier ministre malgré l’annonce de son départ est la norme. Après sa marche dans les rues enneigées d’Ottawa et l’annonce de son départ en février 1984, Pierre Trudeau reste en selle jusqu’au 30 juin 1984, soit deux semaines après l’élection de John Turner à la tête du Parti libéral.
Même chose avec le premier ministre progressiste-conservateur Brian Mulroney, qui a annoncé sa retraite de la politique en février 1993, mais qui est resté au pouvoir pendant encore quatre mois. Kim Campbell a remporté la direction du parti le 13 juin 1993 et est devenue première ministre 12 jours plus tard.
En août 2002, Jean Chrétien annonce qu’il ne dirigera pas les libéraux aux prochaines élections et fixe la date de sa démission… pour février 2004, soit un an et demi plus tard ! Paul Martin, qui avait été exclu du Conseil des ministres quelques mois plus tôt, n’était pas satisfait de ce calendrier. La pression s’est accrue sur Chrétien pour qu’il parte plus tôt. Finalement, à la veille du congrès qui sacra Paul Martin à la tête du PLC, Jean Chrétien prorogea le Parlement et il démissionna officiellement de son poste de Premier ministre le 12 décembre 2003.
Ces trois premiers ministres ont donc continué à gouverner pendant plusieurs mois. Dans le cas de Justin Trudeau, la transition devrait être plus rapide, selon la date choisie par le Parti libéral pour l’élection d’un nouveau chef. Les libéraux n’ont pas le luxe du temps : Pierre Elliott Trudeau, Brian Mulroney et Jean Chrétien ont dirigé des gouvernements majoritaires stables, ce qui n’est pas le cas de Justin Trudeau.
Il y a une autre différence : les trois hommes ont continué à disposer d’un bon « capital politique » auprès de leur caucus et ont imposé le respect. Le contrôle de Pierre Trudeau sur le parti était tel qu’il a pu imposer des dizaines de nominations partisanes à John Turner. Brian Mulroney cultivait religieusement ses relations avec son caucus pour préserver son soutien.
Quant à Jean Chrétien, il a fini par jeter l’éponge lorsque moins de la moitié du caucus libéral s’est engagé à l’appuyer lors d’un vote sur sa direction. Mais il continue à gouverner avec force pendant plus d’un an : ratification du protocole de Kyoto, refinancement du système de santé, milliard supplémentaire pour les forces armées, etc.
Justin Trudeau ne pourra pas gouverner de la même manière. Alors que l’été dernier les observateurs s’étonnaient de la faiblesse de la grogne au sein du caucus libéral, tout s’est effondré de façon spectaculaire à la fin de l’année.
Justin Trudeau est devenu un canard boiteux. À tel point qu’à la suite de l’annonce de son départ imminent, il a dû proroger la Chambre pour éviter de perdre sa confiance. Il n’a plus le respect de son caucus, au point qu’il a quitté la réunion de mercredi après seulement 30 minutes, tandis que le reste des députés a continué à discuter de la marche à suivre pendant plus de cinq heures. Et maintenant, certains sondages montrent déjà un rebond parmi les libéraux après Justin, comme pour confirmer qu’une partie des problèmes des libéraux était précisément la responsabilité de leur chef.
La chute est brutale. Contrairement à ses prédécesseurs, Justin Trudeau a perdu le contrôle du cours des événements. Il n’impose plus aucun respect. C’était aussi un des points forts du leadership de Justin Trudeau : le manque de respect. En raison de ses antécédents et de sa personnalité, il a toujours été considéré comme un poids léger. À une certaine époque, cela lui a bien servi : ses adversaires le sous-estimaient, le méprisaient même. Malgré le fait qu’il soit le septième Premier ministre le plus ancien, malgré trois victoires électorales dans lesquelles il est arrivé de loin et même si plusieurs libéraux lui doivent leur carrière politique, il n’a jamais réussi à imposer le respect. Ni en interne, ni en externe, ni sur la scène internationale. Elon Musk se vante, mais sur le fond il a raison : ce que dit Justin Trudeau n’a plus d’importance.