L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux portent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine..
Dans la foulée des railleries répétées du président élu Donald Trump contre Justin Trudeau et son entourage, le Premier ministre canadien lui a répondu dans une interview à CNN, lors de sa visite à Washington la semaine dernière. Dans l’extrait de l’entrevue le plus rediffusé par les médias et sur les réseaux sociaux, Trudeau déclare que les Canadiens se définissent en grande partie par le fait qu’ils ne sont pas américains.
Que ce soit une blague ou non, le constat reste vrai : les Canadiens sont obsédés par l’idée de se comparer aux Américains. C’est peut-être le résultat inévitable du partage d’une si longue frontière avec un voisin aussi puissant.
Cela révèle également une autre facette de la relation entre les deux nations : les Canadiens passent beaucoup plus de temps à penser aux Américains que l’inverse.
Dans la mesure où le nationalisme canadien existe, il est toujours nécessaire de démontrer la différence « canadienne », le plus souvent en soulignant sa supériorité morale. Avec une question sous-jacente : qui a la meilleure entreprise ?
Il existe d’innombrables façons de répondre à cette question, qui vise la plupart du temps à valider une conviction politique préexistante. Voici une de ces voies, simple en apparence, mais riche d’enseignements : observons les routes.
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J’ai passé la majeure partie de la période des fêtes à voyager à travers quatre États du sud-ouest : la Californie, l’Arizona, le Nevada et l’Utah. Ce n’était pas ma première visite dans ces États, mais certaines découvertes m’ont paru plus frappantes qu’auparavant.
En dix jours et plus de 1 000 km en ville et surtout sur autoroute, j’ai vu au total… et policier chargé d’intercepter les automobilistes coupables d’infractions au code de la route. On risque fort d’en croiser davantage lors d’un déplacement ordinaire dans la région de Montréal, sans même aller bien loin.
Y a-t-il moins de vitesse et moins de danger à contrôler du côté américain ? De longs tronçons d’autoroute reliant Las Vegas au sud de l’Utah sillonnent des pentes montagneuses spectaculaires, avec des courbes prononcées et des changements topographiques. Limite de vitesse légale sur ces tronçons : 75 mph (environ 120 km/h).
Sur certains autres tronçons de route du Nevada, la limite est encore plus élevée, à 80 mph (environ 130 km/h). Et en respectant ces limites, vous risquez davantage de vous faire doubler par d’autres véhicules que de les doubler.
À mon retour des Etats-Unis, j’avais cette sensation incroyable et constante de… lenteur. Comme dans une dimension parallèle, tout semblait fonctionner au ralenti. C’est observable sur les routes, mais cela va bien au-delà. Cela peut paraître anodin, mais ce n’est pas le cas.
Car ces différences s’énumèrent de mille et une autres manières. Passer le réveillon du Nouvel An dans une ville canadienne réputée festive comme Montréal, c’est se promener paisiblement devant des commerces presque tous fermés. Le passer à Las Vegas, c’est oublier qu’il s’agit d’un « jour férié » tant les lumières continuent de briller et le bruit continue d’émaner des commerces, qui sont presque tous ouverts.
Un peu partout, les clients s’amusent dans les centres commerciaux et les casinos. Le climat de fête, de divertissement et de plaisir est contagieux – et la richesse est ostentatoire. Parallèlement, sur les visages de plusieurs salariés, des dealers aux danseurs, on peut lire l’expression d’un désespoir teinté de résilience.
Quel modèle est alors préférable ? Les États-Unis ont une société plus rapide, plus dynamique, plus encline à ne pas restreindre les actions des individus (l’avortement étant une remarquable exception à la règle)… et aussi, par la même occasion, plus agressive, plus violente, plus inégalitaire.
Le Canada et le Québec ont une société plus lente et « plus plate », plus encline à restreindre les actions et les actions des individus (à l’exception remarquable de l’avortement)… et, du même coup, plus égalitaire et plus apaisée.
Au final, j’ai deux constats : malgré leurs similitudes, les deux sociétés sont vraiment différentes ; et les gens des deux côtés peuvent voter avec leurs pieds. Pour ceux qui ont la chance (ou sont obligés) de partager leur temps entre les deux pays et deux systèmes, l’astuce consiste peut-être à se concentrer sur le meilleur de chacun.