Un génocide se voit dans son débordement d’horreurs. À Auschwitz-Birkenau, le camp découvert par l’Armée rouge il y a 80 ans, le 27 janvier 1945, cela se lit dans les restes de la mort industrielle, avec ses rangées de casernes, ses chambres à gaz, ses crématoires, ses montagnes de cheveux, ses chaussures et ses lunettes. .
Le génocide peut aussi être évoqué dans le regard déjà éteint d’une personne qui est sur le point de mourir et dont on sait qu’il le sait, ou dans le regard insupportablement candide d’un enfant dont on sait qu’il ne le sait pas. Mais le génocide peut aussi se trouver dans le vide, dans le néant apparent, car c’est là son but : l’anéantissement. Cette abomination est alors photographiée comme une empreinte, ses victimes immortalisées par contumace. C’est la voie qu’a choisie Michel Slomka.
Le photographe de 38 ans s’est rendu pour la première fois à Birkenau en décembre 2011. Un magazine l’avait envoyé faire un reportage sur le surtourisme sur ce site sacré. C’était une galère ! Personne n’était là. Il n’y avait que des fantômes, dont celui de son arrière-grand-père, qu’il appelle discrètement S. Émigrant juif qui avait fait le voyage de Pologne à Ménilmontant dans les années 1920, S était dans le convoi 36, parti de Drancy le 23 septembre, 1942, à destination du camp d’extermination. Il a disparu dans la brume que l’objectif du photographe tentait de percer.
“La disparition n’est jamais absolue”
Sur place, Slomka a suivi l’itinéraire du visiteur. Mais à côté des amas d’objets, il photographie aussi des fragments éparpillés au sol, des petits morceaux de vie qui lui en disent tout autant. Puis, alors que la nuit tombait par une journée glaciale, il s’est lui aussi délibérément égaré jusqu’au crématorium numéro 5, un peu à l’écart du circuit commémoratif. Il a surpris (autant qu’il a été surpris par) un cerf. L’animal s’est enfui dans les bois voisins. C’était une invitation à le suivre, hors des sentiers battus de la mémoire. Le photographe s’en souvient.
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