Le Québec est l’un des endroits de l’Ouest qui apporte le moins de soutien aux jeunes adultes qui ont fait un voyage dans la protection des jeunes, selon une étude comparative menée par deux experts canadiens. Et les conséquences sont désastreuses. Un tiers des 2 000 personnes qui sortent du DPJ chaque année connaîtront au moins un épisode d’itinérance entre 18 et 21 ans. Les trois quarts n’ont pas de diplôme secondaire dans leur majorité. Et ces jeunes sont plus susceptibles de recourir à des services de santé mentale et de psychiatrie que le reste de la population du même âge, montre l’étude longitudinale sur l’avenir des jeunes placés au Québec et en France (Edjep) dirigé par Martin Goyette, de la National School of Public Administration of Québec. Comment l’État peut-il mieux soutenir cette population vulnérable, car elle s’était engagée à le faire il y a six ans, à la suite du comité spécial des droits des enfants et de la protection des jeunes, présidé par le Régine Laurent? Nouvelles a rencontré le directeur de la protection des jeunes, Lesley Hill, et le ministre responsable des services sociaux, Lionel Carmant.
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Pendant trois ans, les différents rapports d’Edjep, l’une des plus grandes enquêtes du genre au monde, peignent un portrait sombre de jeunes qui sortent du DPJ, en particulier par rapport au taux d’itinérance. Pourquoi nous échappons-nous autant?
Lesley Hill: Il est vrai que les données EDJEP sont sombres. Cependant, nous oublions souvent que l’étude définit un regard partiel sur le système de protection des jeunes: la majorité des enfants qui font l’objet d’un rapport [NDLR : 42 400 retenus en 2023-2024] sont suivis en moyenne pendant deux ans par le DPJ; Ensuite, ils retournent dans leur famille ou ils sont adoptés. Ce sont ceux hébergés dans les centres de réadaptation pour les jeunes en difficulté [NDLR : ils étaient 3 341 en mars dernier] qui sont les plus à risque. Premièrement, ces enfants sont parmi les plus brisés et traumatisés de la société. Mais il est clair pour moi que les services offerts dans le centre de jeunes n’ont pas évolué pour répondre à leurs besoins et qu’il est nécessaire de s’améliorer. Je dirige une consultation nationale aux jeunes, aux parents et aux parties prenantes afin de changer les pratiques [NDLR : la consultation s’est terminée le 30 avril, quatre semaines après cet entretien].
Qu’est-ce qui vous frappe dans leurs mots?
LH: Les jeunes disent que leur vie est si quart dans le centre de jeunes qu’ils sont inactifs à la fin de leur séjour [NDLR : les sorties du centre sont extrêmement limitées, les contacts physiques interdits, et toutes les activités sont imposées, de l’heure du réveil jusqu’au coucher]. Il y a un soutien moins restrictif qui laisse plus de place à l’expérimentation, comme cela est fait dans l’unité Neptune du Mont Saint-Antoine Rehabilitation Center, à l’est de Montréal. Il y a 10 ans, l’équipe a mis en place le programme DAVA, qui met le pouvoir d’agir des jeunes [NDLR : les participants à DAVA, pour « développement des apprentissages à la vie adulte », ont notamment la liberté de choisir leur emploi du temps et font leur propre épicerie, par exemple]. J’ai été commissaire à la Laurent Commission en 2019, et les ex-placés de Dava sont les seuls à avoir témoigné que le centre de jeunes les avait grandement aidés. Je crois en cette approche et je pense qu’elle doit être étendue partout au Québec.
La Colombie-Britannique est beaucoup plus généreuse en ce qui concerne les ex-places. Ces derniers ont notamment droit à une allocation sans aucun doute conditionnelle jusqu’à l’âge de 27 ans pour les aider à trouver l’hébergement, à se stabiliser, à étudier. Et c’est un investissement rémunéré pour la communauté; Selon les études, il augmente l’employabilité et abaisse la légalisation, entre autres. Pourquoi ne pas l’imiter?
Carmant de Lionel: C’est un modèle que nous étudions en ce moment. Les besoins ont été formidables lorsque je suis arrivé au MSSS en 2018, et nous avons d’abord concentré nos investissements dans les services de première ligne au DPJ. Mais nous avons commencé à mettre en œuvre la troisième étape du plan de déploiement que nous nous sommes fixés à la suite de la Commission Laurent, qui contient plusieurs mesures concernant la transition vers l’âge adulte.
Quelles actions sont envisagées?
LC: Par exemple, nous avons reporté l’âge limité de 21 à 25 ans pour bénéficier du programme de qualification pour les jeunes [NDLR : qui permet notamment au jeune inscrit sur une base volontaire de réaliser un projet de vie et de développer son réseau social, en compagnie d’un intervenant]En plus d’avoir établi le plan de transition [NDLR : une sorte de feuille de route à remplir à partir de 16 ans, visant à déterminer les aspirations en matière d’emploi et de logement, entre autres]. En décembre, j’ai également annoncé, avec mon collègue Chantal Rouleau, ministre responsable de la solidarité sociale et de l’action communautaire, que les anciens plus à risque de l’itinérance auraient désormais droit au programme de compléments de loyer [NDLR : grâce à cette aide, le locataire paie un loyer qui correspond à 25 % de son revenu]. Ce soutien financier sera accompagné d’un soutien psychosocial offert par une organisation communautaire [NDLR : dont Dans la rue, à Montréal, et le réseau des Auberges du cœur ailleurs au Québec].
LH: Il est vrai que le programme de la Colombie-Britannique offre le meilleur soutien financier au Canada et que beaucoup réclament également un revenu de base au Québec. Mais nous n’y sommes pas encore revenus. Cela dit, je trouve que nous avons encore fait de grands progrès: il y a 10 ans, personne n’écoutait quand nous parlions du sort des jeunes après que le DPJ-je le sache qu’il avait combattu en tant que militante pour ces enfants. Désormais, le MSSS est chargé de fournir des services aux ex-places jusqu’à 26 ans [NDLR : la Loi sur la protection de la jeunesse a été modifiée en ce sens en 2023]Et de nombreux projets innovants reçoivent des subventions de l’État, notamment la ressource de l’hébergement de la maison Stéphane Faltu, à Chambly, et le Mentoret de 16-21 ans, créé par l’association des grandes frères Grande-sœurs du Québec [NDLR : ce programme propose un jumelage entre un mentor bénévole et un jeune ayant un historique de placement à la DPJ]. Nous multiplions les mesures et c’est bien. Les ingrédients sont là; Ce qui manque encore, c’est un liant. Parce que malgré toutes les initiatives établies, les jeunes continuent de nous dire: “J’ai été libéré dans la brume à 18 ans, il n’y avait personne pour moi.” ”
Qu’entendez-vous par «liaison»?
LH: Je souhaite mettre en place un comité inter-ministéral en transition vers l’âge adulte, comme recommandé par la Laurent Commission. Avec autour de la table, les ministères de l’emploi, de l’éducation, du logement, de la famille. Pendant des années, le manque de vision du gouvernement mondial de ces jeunes a été critiqué.
Que changerait un tel comité?
LH: De quoi les jeunes ont-ils besoin lorsqu’ils quittent le système? Un toit sur la tête, un revenu décent, des relations sociales. Mais tous ces composants ne peuvent pas être la seule responsabilité du MSSS. Nous devons nous rassembler, que tout le monde se demande comment leur ministère peut les aider. Je pense en particulier à leur scolarité, une matière qui m’inquiète énormément et qui est l’éducation. La majorité des jeunes ont des retards scolaires. Cependant, tout ce qui leur est offert, lorsqu’ils quittent le DPJ, c’est l’éducation des adultes – est un modèle mal adapté à une jeune polytraumat. Bien qu’il existe de nombreuses approches d’adaptation académique qui pourraient être tentées, des approches qui comprennent que leur trajectoire ne sera pas linéaire, qu’ils pourraient avoir besoin d’aider d’autres niveaux avant d’être prêts à aller à l’école. En bref, je veux m’assurer que ces préoccupations sont partagées par tous ceux qui ont le pouvoir d’agir.
LC: La mise en place d’un comité inter-ministériel a porté des fruits dans le dossier itinérant. Il a le pouvoir de changer la situation. Et je peux vous dire que chaque fois que nous parlons de jeunes, nous avons une très bonne écoute du Premier ministre François Legault. Il est sensible à cette cause, donc je pense que le travail de Lesley sera payant. Mais nous savons qu’il y a un long chemin à parcourir.
LH: Je crois également que les jeunes doivent participer à des solutions. Travailler avec des associations comme le collectif ex-placé DPJ m’a fait comprendre que le levier le plus puissant pour eux est d’être ensemble et d’avoir le sentiment de réaliser quelque chose. Être entendu. Certains ne fonctionnent pas, n’allez pas à l’école, mais ils se portent volontaires dans plusieurs organisations qui font campagne pour leurs droits [NDLR : notamment le Conseil national des défenseurs des jeunes pris en charge, qui a publié une série de recommandations en 2021, dont la création d’une politique nationale pour standardiser les services partout au pays, Normes équitables de transition vers l’âge adulte pour les jeunes pris en charge]. Chacun doit trouver son propre feu, sa propre motivation.