DDans les gradins de l’ancien stade du parc Victoria, au carrefour des quartiers Limoilou et Saint-Sauveur, dans la Basse-Ville de Québec, un parfum de réussite se mêle aux arômes de hot-dogs et Popcorn. La foule joyeuse, portée par une musique endiablée, tape du pied entre deux lancers vers la plaque, en ce beau dimanche ensoleillé de la fête des Pères. Sur le terrain, où s’affrontent un certain nombre de joueurs ayant connu les ligues majeures, les coups s’enchaînent. L’équipe locale, les Capitales, qui fête cette année ses 25 anset anniversaire, cap vers la victoire une fois de plus.
Alors que plusieurs Montréalais rêvent du retour des Expos, Québec fait vibrer ses partisans avec son équipe de la Ligue Frontier. Les Capitales sont les joueurs à battre dans cette ligue de baseball indépendante qui regroupe 16 équipes du Canada et des États-Unis, réparties dans les divisions Est et Ouest : le club a remporté la moitié des 18 derniers championnats, dont les deux plus récents. Et le Stade Canac, qui peut accueillir 4 300 spectateurs, regorge de partisans à chaque match.

« Après 14 matchs cette saison, nous sommes proches de épuisé “, se réjouit le président des Capitales, Michel Laplante.
À 54 ans, il demeure le leader du club, dont il a été le premier lanceur (1999, 2002-2005) ainsi que le gérant (2005-2009). Non seulement a-t-il, avec sa garde rapprochée, fait de ce dernier un succès populaire et financier, mais il a aussi rendu le stade accessible à l’année à tous les amateurs de baseball du Québec. L’équipe du maire Bruno Marchand vient de s’engager à donner à l’édifice, qui date de 1938, une cure de rajeunissement de 20 millions $ d’ici 2027. Entre autres rénovations, les vieux murs en plâtre jaune seront remplacés par de la brique, ce qui donnera à l’endroit l’allure d’un mini Fenway Park, le stade des Red Sox de Boston.
Ce 16 juin, l’ambiance est à la bonne humeur dans le stade, qui offre une vue magnifique sur la ville. Capi, la mascotte du lion, se fait prendre en photo avec des familles. Dans les mezzanines, les spectateurs se lèvent des bancs de bois pour mieux crier et applaudir, dans l’espoir de remporter une pizza, remise à ceux qui feront le plus de bruit. Un meneur de foule récompense d’une casquette le petit David, cinq ans, qui vient de relever le défi d’écraser un cornet de glace sur le front de son père.
« Ici, on peut ne pas aimer le baseball, ne rien comprendre au baseball ou être indifférent aux Capitales et passer quand même une excellente soirée », résume le journaliste sportif Carl Tardif, retraité du journal Le soleil.
Amateur depuis les débuts de l’équipe, Mario Michaud, casquette bleue des Capitales vissée sur ses cheveux gris, n’a raté que trois matchs en 25 ans. Il connaît la recette du succès de son club. « C’est l’approche de l’organisation envers nous. Ils se soucient de nous, avec les promotions et la façon dont ils nous accueillent. » Pour régaler ses partisans, l’équipe vend des hot-dogs à un dollar tous les samedis, et des feux d’artifice illuminent le ciel le vendredi.
L’histoire d’amour entre Québec et ses Capitales n’est pas un coup de foudre. Québec avait déjà été une ville de baseball, avec le club-école des Expos de 1971 à 1977. Mais lors du match inaugural des Capitales contre l’équipe d’Albany, le 4 juin 1999, les sceptiques étaient nombreux. « C’était un beau projet, mais l’inconnu, c’était le calibre et la ligue », se souvient Carl Tardif. Baseball indépendant [de la Ligue nationale et de la Ligue américaine, les deux ligues majeures, regroupées dans la Ligue majeure de baseball (MLB)]on ne savait pas ça au Québec.
Alors que les ligues mineures sont un vivier de talents pour les ligues majeures, les ligues de baseball indépendantes peuvent embaucher qui elles veulent. La plupart des joueurs qui évoluent dans la Frontier League ont été repêchés par des équipes professionnelles. Certains ont joué dans la MLB, mais des blessures les ont renvoyés dans les ligues mineures et loin de leur rêve. Le baseball indépendant devient alors une excellente option pour eux.
Les Capitales ont des rivaux « locaux » dans la Ligue Frontier, soit les Eagles de Trois-Rivières et les Titans d’Ottawa. À quand une rivalité Québec-Montréal?
Michel Laplante, par exemple, a joué pour les filiales de la MLB des Pirates de Pittsburgh et des Padres de San Diego avant de se joindre à une équipe de baseball indépendante du Wisconsin, alors propriété du magnat du baseball Miles Wolff. L’année suivant la fondation des Capitales, ce dernier a fait appel au lanceur de Val-d’Or, alors âgé de 29 ans. Beaucoup de choses étaient à corriger, à commencer par le terrain, qui ressemblait à un champ de patates. «Il fallait fermer les yeux très fort pour y croire», se souvient Michel Laplante.
Contrairement à la tendance de l’époque dans les ligues professionnelles, Miles Wolff a choisi de ne pas moderniser ce sport qui date de 150 ans. Les Capitales joueront dans un uniforme rétro rayé avec un logo simple, un Q majuscule jaune. Et les atouts de l’ancien stade Victoria seront mis en valeur. Encore aujourd’hui, c’est un employé qui inscrit manuellement les points au tableau indicateur! Miles Wolff fait le pari que les Québécois seront conquis par ces vieilles traditions du baseball.

Le public est curieux, mais pas encore fervent. Après quelques années, les résultats sont encore écrits à l’encre rouge. Michel Laplante, devenu gérant, se tourne avec sa petite équipe vers la population et les entreprises, déterminé à conquérir les cœurs pour récolter aimer l’argentsous forme de partenariats, de publicité dans le stade, etc. « On se présente comme une équipe que la communauté ne veut pas perdre », dit-il. Surtout après le départ des Expos, qui ont joué leur dernier match à Montréal en 2004, et celui des Nordiques de Québec en 1995…
L’intérêt a grimpé d’un cran lorsqu’en 2006, les Capitales, un club que personne n’attendait, ont remporté leur premier championnat de la Ligue Can-Am (qui a fusionné avec la Ligue Frontier en 2019). C’est alors que l’ancien annonceur des Expos Jacques Doucet est devenu l’annonceur de l’équipe Cendrillon. Avec son enthousiasme, il a rassuré les amateurs sur la qualité du spectacle.
La popularité de l’équipe a explosé en 2009 avec l’arrivée pour une saison du lanceur québécois Éric Gagné, ancienne vedette des Dodgers de Los Angeles et récipiendaire du trophée Cy Young remis au meilleur lanceur de l’année dans la Ligue nationale. Gagné allait aider les Capitales à remporter le championnat cette année-là, tout comme un autre grand joueur québécois, le receveur Pierre-Luc Laforest, ancien des Padres de San Diego et des Phillies de Philadelphie.

Miles Wolff peut partir en paix : son équipe est enfin rentable. En 2010, il vend les Capitales à Jean Tremblay, de l’entreprise d’entretien de pelouse Vertdure, épaulé depuis par son fils Philippe ainsi que par un autre copropriétaire, Pierre Tremblay.
Michel Laplante, nommé président la même année, a mis en place le plan qu’il avait en tête depuis un certain temps pour assurer la pérennité de l’équipe : s’assurer que le stade soit utilisé à temps plein. Les Capitales n’avaient que 500 heures d’utilisation par année; pourquoi ne pas offrir le reste du temps à tous les amateurs de baseball?
Mais pour ce faire, il faudra remplacer le gazon naturel par une surface synthétique et ajouter un dôme soufflé à l’air chaud en guise de toit. Le coût des travaux : 4,3 millions de dollars. La somme sera entièrement payée par le nouvel organisme à but non lucratif, le Complexe de baseball Victoria, appuyé par son partenaire privé, le Groupe Laberge des quincailleries Canac, qui donnera son nom au stade.
Convaincre la Ville de Québec, propriétaire du stade, de lui en confier la gestion pour faciliter le projet n’a pas été une mince affaire. Ce n’est pas que Régis Labeaume, le maire de l’époque, n’aimait pas le baseball – il a d’ailleurs recommencé à jouer au softball à l’été 2024 – mais au début des années 2000, la demande était pour des terrains de soccer, pas de baseball.
Il faudra la passion de Michel Laplante, et son côté têtu, pour que la revitalisation du stade se concrétise. « Il est tenace, dit Régis Labeaume, avec un sourire ironique. C’est un vendeur, il ne lâche rien. La bulle au-dessus du terrain, les ingénieurs de la Ville n’étaient pas d’accord avec ça. Le modèle d’une entreprise qui gère le stade de la ville, ça n’existait pas. C’était tout un projet accord…Nous l’avons forcé et nous l’avons fait.
En 2016, la surface synthétique fait son apparition, puis le dôme gonflable, haut de 24 m, utilisable six mois par an. L’organisation est aujourd’hui rentable, et l’est encore en 2024.
Le terrain, qui peut être divisé en trois sections, accueille le baseball des ligues mineures, un programme d’études de baseball populaire (il y a environ 300 places pour une demande trois fois plus grande) et d’autres sports, comme le frisbee en équipe (frisbee ultime).
Leader créatif, Michel Laplante a toujours de bons arguments, observe le journaliste sportif Carl Tardif. «Jusqu’à maintenant, sa moyenne au bâton lui a permis de mener à bien ses projets.»

Alors qu’il tenait les rênes des Capitales, Michel Laplante a créé (et vendu depuis à l’athlète Éric Gagné) B45, une entreprise qui fabriquait des bâtons de baseball en bouleau jaune. De nombreux joueurs professionnels achetaient les bâtons fabriqués à partir de l’arbre emblématique du Québec. Il a négocié avec le gouvernement cubain une véritable voie diplomatique pour faire venir des joueurs au Québec et aussi organiser des échanges culturels entre les jeunes joueurs québécois et cubains.
Les Capitales ont des rivaux « locaux » dans la Ligue Frontier, avec les Eagles de Trois-Rivières et les Titans d’Ottawa. À quand une rivalité Québec-Montréal ? Michel Laplante sourit. « Mon défi, c’est peut-être d’aider à lancer une équipe à Montréal, d’aider la ligue à grandir pour qu’on ait une vraie division canadienne avec quatre équipes. »
L’ancien maire Labeaume est optimiste quant à l’avenir des Capitales. « On a créé une nouvelle génération de fans, observe-t-il. Et grâce à Michel et à son équipe, c’est devenu une réalité. cool pour aller au baseball.
Une chose est sûre, Mario Michaud sera là. « C’est une famille ici. »