Cet été, pour mes vacances, j’avais besoin d’un coin d’ici que je n’avais jamais vu. Il ne me reste plus grand chose à découvrir, alors ce fut la Côte-Nord, avec le Saint-Laurent comme fil conducteur.
La rivière m’émerveille depuis mon enfance ; je lui ai consacré le premier chapitre de mon livre. J’ai encore fait le plus beau voyageoù je proclame mon amour du Québec.
Je viens de LaSalle. Cette ville ordinaire, devenue arrondissement de Montréal, possède un atout formidable : le Saint-Laurent à ses pieds. Il suffit de traverser le boulevard LaSalle qui le longe, « et il est là, grand ouvert, dégagé, plein d’odeurs, indompté », si je puis me citer.
Même les rapides dits « de Lachine » se trouvent sur le territoire lasalinien. Ces eaux impétueuses m’ont toujours semblé, un joli paradoxe, comme un soulagement : se mesurer à soi-même à la nature immémoriale relativise de nombreux maux humains.
Mon amour du fleuve ne s’est jamais démenti. Je l’observe avec fascination du pont Champlain à Montréal à la promenade Champlain à Québec; de Baie-Saint-Paul d’un côté à Kamouraska de l’autre; dans ses variations qui vont de la mer de Gaspésie au lac Saint-Louis.
Je croyais donc en connaître plusieurs facettes, et pourtant je n’étais pas préparée à l’émotion ressentie devant sa version nord-côtière. Dès la descente du traversier à Tadoussac, on est frappé par le dépouillement qui, le long de la route, va s’accentuer. Les villages y sont trop neufs et trop petits pour rivaliser avec la force brute qui surgit des eaux. Le fleuve s’impose, si large, si présent.
Il s’en dégage pourtant des parfums très humains de liberté : l’histoire des Acadiens qui ont fui la déportation pour fonder des villages sur la Côte-Nord, Havre-Saint-Pierre en premier lieu ; les eaux poissonneuses qui ont assuré la survie de générations de pêcheurs ; la création instantanée, au XXe siècleet siècle, de sites industriels très modernes, comme la peu connue Clarke City.
Je me suis retrouvée plongée dans l’histoire du Québec, amenée à « réfléchir sur les populations qui ont évolué sur ses rives »
Tout cela a donné naissance à des communautés toujours vivantes, fières de leur histoire, heureuses de la raconter.
Je ne suis pas allé plus loin que le panneau « Fin » de la route 138, planté une cinquantaine de kilomètres après le Natashquan de Gilles Vigneault. À en juger par les cyclistes, et même un marcheur, que j’ai croisés sur la route, je n’ai pas eu le mérite d’avoir accompli un exploit sportif en empruntant ce trajet désormais asphalté.
Malgré tout, j’ai eu le sentiment d’avoir accompli quelque chose en posant sous le signe : de Kegaska à Montréal, je faisais véritablement partie du « chemin qui marche », comme les Algonquins appelaient le Saint-Laurent. J’y ai vu la nature, bien sûr, mais aussi la littérature, la chanson, l’économie, l’énergie, la gastronomie… portées par les flots. J’ai réalisé que ce pays était aussi le mien !
Je pensais cependant que mon enthousiasme était plutôt tardif : Pierre Perrault, grand cinéaste et poète, a raconté tout cela il y a plus de 60 ans, sans oublier de nombreux auteurs qui ont superbement dépeint le Saint-Laurent et ses rives, dont celles de la Côte-Nord. Pas de quoi donc en tirer une chronique à son tour !
Or, par coïncidence, le jour même où je rentrais chez moi, Le devoir a publié un texte de Pascal Chevrette, professeur au Collège Montmorency, intitulé « Enseigner le fleuve au cégep ». Et sa version longue était dans le numéro de Action nationale qui m’attendait dans le courrier.
De quoi s’agit-il? Le Parcours laurentien, un voyage organisé par des professeurs de littérature, de biologie, de géographie et de cinéma québécois, qui emmène les étudiants du cégep sur le Chemin du Roy et la Route des Navigateurs pendant six jours. Il s’agit d’aller au-delà des magnifiques couchers de soleil pour faire découvrir et comprendre les repères culturels, économiques, environnementaux et sociaux méconnus qui jalonnent le Saint-Laurent. Le fleuve comme une « classe à ciel ouvert » où il y a tant à apprendre.
Mais c’est ça mon voyage !
Je m’étais donné comme objectif de me ressourcer, les yeux fixés sur de jolis paysages. Au lieu de cela, je me suis retrouvé plongé dans l’histoire du Québec, amené à « réfléchir sur les populations qui ont évolué le long de ses rives », comme le dit le professeur Chevrette ; sur les défis de développement du territoire ; sur la fragilité environnementale – fondée notamment sur les ravages des feux de forêt que traverse la route 138 sur des kilomètres ; sur la résistance des gens et sur le « nouveau pays que je tiens d’eux », pour citer le poète Alfred DesRochers, toujours d’actualité.
C’était un cours très intéressant. Et je n’ai pas fini d’apprendre.