DDans les rues de Tallinn, capitale de l’Estonie, le drapeau ukrainien déployé ici et là révèle un soutien qui va au-delà du simple élan de solidarité envers ce pays en guerre. Pour les 1,3 million d’Estoniens, le sort de Kiev est aussi le leur. Dans ce pays bordé par la mer Baltique, envahi à maintes reprises par la Russie au cours de son histoire, le conflit prend une dimension existentielle. Car en cas de victoire du Kremlin, l’Estonie, qui partage une frontière de 300 km avec la Russie, craint d’être la prochaine cible, tout comme ses deux voisins baltes, la Lettonie et la Lituanie, ou encore la Pologne.
Et ce, alors que le Canada maintient une présence importante dans la région, avec quelque 1000 militaires déployés en permanence en Lettonie, selon Ottawa, dans le cadre d’une mission de l’OTAN visant à préserver la sécurité régionale face à son voisin russe. Une présence de l’armée qui remonte à 2017 et que le gouvernement de Justin Trudeau s’est engagé à doubler, portant le nombre de troupes à 2200 d’ici 2026. Des contingents de Valcartier y ont été régulièrement envoyés en rotation ces dernières années et, depuis juin, plus d’un millier de soldats de la base participent à une opération de dissuasion sur le territoire letton.
Moscou n’a jamais cessé de représenter la principale menace pour l’Estonie, ex-république soviétique et membre de l’Otan depuis 2004. D’autant que le pays compte une importante minorité russophone (20 % de la population), issue de l’héritage impérial de l’URSS. Moscou avait encouragé l’afflux de citoyens soviétiques dans les États baltes, annexés de force au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Une spécificité démographique qui, craint Tallinn, pourrait servir de prétexte à Vladimir Poutine pour ordonner une nouvelle agression armée. Comme celle qu’il a lancée dans le Donbass en 2014, au nom de la « défense » fantasmée des Ukrainiens russophones.
Le traumatisme des déportations orchestrées sous Staline reste gravé dans les esprits. Au plus fort des purges des années 1940, des dizaines de milliers d’Estoniens, mais aussi de Lettons et de Lituaniens – entre autres citoyens ayant vécu sous le joug soviétique – furent envoyés arbitrairement au goulag, notamment en Sibérie, certains étant accusés d’être des « ennemis du peuple ». Kaja Kallas, Première ministre estonienne et porte-parole de Kiev, n’hésite pas à rappeler qu’une partie de sa famille a été victime de ces rafles. Le poids de l’histoire résonne ainsi d’autant plus lorsqu’il martèle la nécessité d’une victoire ukrainienne.
Hanno Pevkur, ministre de la Défense, n’en pense pas moins. Il ordonne ainsi à tous les alliés de l’OTAN de respecter leurs engagements en matière de dépenses militaires. Il en va selon lui de leur « crédibilité ». Une critique à peine voilée envers certains pays, comme le Canada, réticents à investir davantage dans leurs propres forces armées. Dans une interview accordée à Les nouvelles Au siège de son ministère, dont la façade arbore également un drapeau bleu et jaune, l’homme détaille les préparatifs militaires de son pays face à la menace russe et appelle à l’aide des alliés pour renforcer l’aide à l’Ukraine. Car les Etats baltes le savent bien, compte tenu de leur histoire : il est impossible de faire cavalier seul face à leur immense voisin russe.
