Les méduses sont présentes dans tous les océans. Ces créatures invertébrées sans cervelle, parfois inoffensives, parfois extrêmement venimeuses, profitent du changement climatique et de la surpêche d’autres espèces pour proliférer. Elles envahissent les plages et obstruent les filets de pêche partout dans le monde, et ont même bloqué les tuyaux de refroidissement des centrales nucléaires.
« Si vous ne pouvez pas les combattre, mangez-les », suggérait un rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en 2013. Sur les milliers d’espèces de méduses, seule une douzaine sont comestibles. Et leur récolte comporte son lot de défis, notamment en raison de l’imprévisibilité des stocks. Cela n’a pas empêché la récolte de 222 000 tonnes de méduses de ce genre Rhopilème dans le monde en 2020, une quantité comparable à celle de la crevette nordique.
Aussi peu appétissante qu’elle puisse paraître, la méduse est consommée depuis des siècles en Asie et commence à apparaître sur les menus des restaurants européens et nord-américains. Elle est le plus souvent séchée et, une fois réhydratée, coupée en lanières, puis mélangée à un sauté ou à une salade. Au Japon, on la déguste également fraîche, notamment dans les sushis. Surnommée le « tofu de la mer », la méduse prend la saveur des plats et, malgré son apparence gélatineuse, elle est assez ferme.
Il existe au moins une espèce comestible dans le golfe du Saint-Laurent, la méduse-lune, ou aurelia. Elle est relativement petite, transparente et inoffensive, contrairement à la méduse à crinière de lion, beaucoup plus dangereuse et dont les tentacules peuvent mesurer plusieurs mètres. Ce sont les deux principales espèces que l’on retrouve au Québec, selon Dominique Robert, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écologie des pêches à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski.
Pour en faire une pêche commerciale, il faudrait connaître les zones où elles sont présentes et leur période d’abondance, explique le chercheur. Or, ces données n’existent pas, car les méduses ne sont pas considérées comme une ressource au Québec. « On a des blooms, où tout à coup il y en a plein qui débarquent sur les plages, vers juillet aux Îles-de-la-Madeleine, par exemple, mais ça varie d’une année à l’autre. » Une exploitation rentable serait donc très difficile pour l’instant, croit-il. Néanmoins, il n’est pas impossible qu’on y arrive un jour.
Aux États-Unis, la pêche aux méduses boulets de canon est reconnue comme une activité commerciale par la Floride et la Géorgie depuis 2013. « Les concentrations sont parfois telles qu’un bateau peut récolter des milliers de kilos en 30 minutes », explique Bryan Fluech, directeur associé de Marine Extension and Sea Grant à l’université de Géorgie. Mais la pêche n’est plus ce qu’elle était autrefois dans cet État. « Cette année, il n’y avait qu’un seul bateau en mer », déplore-t-il. Les exportations sont plus difficiles avec le principal acheteur, la Chine. Les pêcheurs vieillissants manquent aussi de remplaçants, et le poids des prises, élevé pour assurer la rentabilité — ces animaux sont composés à 95 % d’eau — met à mal leurs bateaux.
Les acheteurs asiatiques se tournent donc vers le Mexique, où la pêche est en plein essor depuis 20 ans. En 2021, près de 100 000 tonnes de méduses y ont été récoltées. Mais la réglementation insuffisante met l’espèce dans une situation précaire.
Le collagène contenu dans ces animaux pourrait ouvrir des débouchés dans l’industrie pharmaceutique et cosmétique, souligne Fluech. Cela pourrait peut-être relancer la pêche en Géorgie. Et, qui sait, l’introduire au Canada.