Valérie S. Langlois est professeure titulaire et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écotoxicogénomique et perturbation endocrinienne à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS); Julien Gigault est professeur et chercheur en chimie à l’Université Laval; Raphaël Lavoie est chercheur scientifique à Environnement et Changement climatique Canada et professeur agrégé à l’INRS; et To Tuan Anh est technicienne à l’INRS.
Nos vêtements sont en grande partie faits de… plastique. Contrairement au coton, qui provient d’une plante, le polyester et le fameux spandex ou lycra — qui rendent les vêtements plus extensibles — ne poussent pas dans la nature. Ce sont des matières artificielles fabriquées à partir de plastique qui sont utilisées dans la production de textiles synthétiques.
Lorsque nous les lavons, de minuscules fibres de plastique se détachent de nos vêtements et sont évacuées dans les égouts. Une fois arrivées à la station d’épuration, elles échappent au processus d’élimination en raison de leur taille microscopique (d’où leur nom, microplastiques) et finissent dans nos écosystèmes aquatiques.
Nous avons récemment réalisé une évaluation des microplastiques dans les eaux du fleuve Saint-Laurent et de son estuaire. Nous avons constaté que les microplastiques les plus abondants étaient des fibres textiles en polyester.
Ailleurs dans le monde, des résultats similaires ont été observés. Dans la mer Caspienne, par exemple, les fibres textiles étaient également le type de microplastique le plus présent dans le système digestif des poissons.
Dans cet article, nous nous proposons de dresser un tableau de cette situation préoccupante.
Pleins feux sur les microplastiques
Des microplastiques (dont la taille varie de l’épaisseur d’un cheveu à celle d’un cure-dent) ont été détectés partout sur la planète, y compris dans l’eau, les sédiments, le sol, l’air, les animaux et même dans les nuages et le sang humain.
À l’échelle mondiale, on estime que près de 110 millions de tonnes de plastique se sont accumulées dans les rivières au fil du temps, dont 12 % sont des microplastiques et 88 % des macroplastiques (ceux dont la taille dépasse l’épaisseur d’un cure-dent).
Les microplastiques sont reconnus comme étant les produits de la dégradation des macroplastiques. On peut citer comme exemples les particules d’abrasion des pneus, les bouteilles en plastique ou les fibres de lavage des textiles.
Conséquence ? Une part importante des macroplastiques d’aujourd’hui se dégradera et se transformera en microplastiques de demain.
Les effets néfastes de l’exposition aux microplastiques sur la santé des organismes vivants ont été largement documentés. Chez l’homme, l’exposition a été associée à des perturbations cellulaires, à des troubles métaboliques, à une réponse du système immunitaire et à des effets négatifs sur la reproduction et le développement.
L’éventail des effets documentés des microplastiques sur la santé n’est probablement que la pointe de l’iceberg, alors que les efforts de recherche mondiaux continuent d’étudier diverses espèces.
Des microplastiques pour le dîner ?
Les microplastiques peuvent, entre autres, s’accumuler dans les poissons pêchés et élevés en aquaculture. Alors, vous l’aurez deviné, ils finissent… dans nos assiettes.
Une étude récente a démontré la présence de microplastiques tels que des fibres textiles synthétiques dans la chair de poissons commerciaux destinés à la consommation humaine. La quantité de microplastiques était également plus importante chez les poissons carnivores, c’est-à-dire ceux qui se nourrissent d’autres poissons.
Manger des poissons herbivores comme le tilapia, plutôt que des poissons carnivores comme le thon, le saumon et la truite, pourrait réduire la quantité de microplastiques dans nos repas.
Le fleuve Saint-Laurent et son estuaire
Le fleuve et son estuaire drainent environ 25 % de l’eau douce mondiale. Et plus de 45 millions de personnes vivent à proximité.
Au fur et à mesure que le fleuve coule, la contamination par les microplastiques peut éventuellement atteindre l’océan Atlantique.
Cette situation est particulièrement préoccupante. Pourquoi ? D’une part, parce qu’elle permet de prédire les futures charges de microplastiques dans les eaux marines. D’autre part, parce que le fleuve abrite plusieurs millions d’animaux, d’invertébrés et de plantes.
Dans notre étude, nous avons évalué la part de microplastiques flottant dans les 40 premiers centimètres sous la surface de l’eau à 11 sites distincts dans le fleuve et l’estuaire du Saint-Laurent.

Nos résultats sont sans équivoque : les microplastiques sont présents sur tous les sites d’échantillonnage. Les catégories de microplastiques les plus abondantes sont les fibres textiles, suivies des fragments (provenant par exemple de sacs plastiques) et des sphères (provenant par exemple de produits cosmétiques).
Une analyse plus approfondie a déterminé que les matériaux prédominants étaient le polyester, le polyéthylène, le polypropylène, le nylon et le polystyrène.
Ces données fournissent des informations précieuses sur la distribution et le comportement des microplastiques afin de mieux préserver et gérer nos ressources en eau douce.
Robert Charlebois chantait « Il faut laver l’eau, laver l’eau, laver l’eau »
Poly-Mer, une petite entreprise québécoise, a conçu un filet qui s’attache derrière un canot ou un kayak pour recueillir les microplastiques flottant à la surface.
En collaboration avec Stratégies Saint-Laurent — un organisme à but non lucratif québécois qui vise à encourager l’implication des communautés riveraines dans la protection, la réhabilitation et la mise en valeur du Saint-Laurent —, nous avons testé le filet Poly-Mer et démontré qu’il pouvait effectivement aider à filtrer les microplastiques présents dans l’eau.

Au niveau d’un seul humain, d’une seule ville, que puis-je faire ?
L’Accord Kunming-Montréal sur la biodiversité signé en 2022 (également connu sous le nom de COP15) a une fois de plus reconnu l’importance de travailler ensemble pour éliminer la pollution plastique mondiale.
Et si on réduisait notre consommation de plastique ? La question « en avons-nous vraiment besoin ? » n’a jamais été aussi d’actualité qu’aujourd’hui, tant pour le portefeuille que pour l’environnement.
Par exemple, la gestion municipale du compost domestique devrait éviter à tout prix l’utilisation de sacs en plastique. En effet, même les sacs étiquetés biodégradables ne se décomposent pas complètement. Il est préférable de mettre les déchets alimentaires directement dans notre bac à compost et de le laver régulièrement.
L’élimination appropriée des plastiques à la source est essentielle, tout comme l’investissement dans des technologies de traitement des eaux usées capables d’éliminer les microplastiques.