DDes tribunes de Roland-Garros aux Champs-Élysées, de Paris à Tiaret en passant par Alger et toutes les villes d’Algérie, la victoire d’Imane Khelif en finale des moins de 66 kg a déclenché une explosion de joie vendredi soir. “C’est comme si on avait gagné la Coupe du monde de football !”, s’est exclamé un Algérois devant les milliers de supporters de la boxeuse réunis devant les écrans géants partout dans le centre-ville.
Dans son village natal, Biban Mesbah, près de Tiaret (ouest), les villageois et les habitants des communes voisines ont préparé toute la journée d’hier la joyeuse foire, embellissant le village, offrant de la nourriture, un logement, une fan zone en plein air dans un petit stade… Des plats de couscous et de poulet grillé ont été distribués au public et aux journalistes locaux et étrangers avant le match.
À LIRE AUSSI JO 2024 : J’ai vu la tempête Imane Khelif gagner en intensité « J’avais l’impression que Biban Mesbah se moquait de Musk, de Trump et de l’Association internationale de boxe noyés dans la boue politique », a déclaré un journaliste présent dans ce village. « La joie dans les yeux des enfants, des femmes, des jeunes et des personnes âgées était une sorte de gratitude envers Imane, qui a fait connaître le nom de leur petit village à tout le monde. Imane signifie « foi » et la championne croyait en son talent, rivalisant avec noblesse et honneur, surmontant la haine et la brutalité avec un esprit sportif sans précédent ».
Le président Tebboune au téléphone
A l’annonce de la victoire de la boxeuse face à l’audacieuse Chinoise Yang Liu, championne du monde 2023, les youyous et les cris de joie ont rempli le village, les villes, le pays tout entier. “C’est notre fille !”, s’est exclamée la foule. “J’ai attendu toute la journée ce combat, raconte Anissa, c’était trop long. On a dîné tôt avec ma famille, puis on est restés scotchés à France 2, à prier en silence pendant ces quelques minutes qui ont semblé une éternité, avant que tout n’explose.” Anissa est sortie dans la rue, l’écharpe de l’Algérie sur les épaules, a pris sa voiture et a participé aux défilés sillonnant les rues d’Alger.
Au même moment, sur l’écran, et après le sacre et la levée des drapeaux, on voit Imane parler au téléphone, entourée de son staff. Le président algérien Abdelmadjid Tebboune est à l’autre bout du fil. “Oui, merci beaucoup… Je vous l’ai promis… Une médaille pour toute l’Algérie”, entend-on la championne lui parler.
Car l’affaire est aussi politique, au-delà de la question olympique. Mercredi, au siège des Nations unies à New York, lors d’une réunion du Conseil de sécurité consacrée aux droits des femmes, la représentante russe a dénoncé le fait que, lors des JO de Paris, « des boxeuses ont subi des violences publiques de la part d’athlètes qui ont échoué au test hormonal de l’Association internationale de boxe et qui sont des hommes ». « Les droits des femmes souffrent de tous les points de vue de la plateforme LGBT que l’Occident tente d’imposer au monde entier », a accusé la déléguée russe.
“Je suis désolée de demander à nouveau la parole”, a alors intervenu la représentante algérienne : “La délégation de mon pays n’a pas voulu voir la politique et le sport mélangés, notamment lors des Jeux olympiques qui se déroulent actuellement”. “Nous avons entendu une allusion claire à une athlète championne de mon pays. La courageuse boxeuse Imane Khelif est née fille, a vécu son enfance comme une petite fille et a pratiqué le sport comme une femme à part entière et je réaffirme ici qu’il n’y a pas le moindre doute là-dessus, sauf pour ceux qui ont un agenda politique dont on ignore les objectifs”, a ajouté la diplomate.
Affrontement Alger-Moscou
Une tension sans précédent dans les relations entre Alger et Moscou, alliés stratégiques, s’est installée lors de cette séance. Le diplomate algérien a conclu en dénonçant les “doutes” qui ont visé “notre courageuse pugiliste, descendante des femmes libres de mon pays”.
« Dans son délire homophobe et anti-occidental, la Russie est allée jusqu’à affronter son allié algérien et mener une campagne de haine à travers l’Association internationale de boxe, que Moscou contrôle indirectement », commente un chroniqueur algérien.
« La Russie est engagée dans une confrontation globale avec l’Amérique et l’Occident, qu’elle décrit comme une question de vie ou de mort, et dans cette confrontation la priorité est toujours aux intérêts de la Russie. S’il s’agit de piétiner les intérêts des pays « amis », ils le feront sans hésiter, et c’est sous cet angle qu’il faut lire le comportement de la Russie en Libye et au Sahel et, avant, en Syrie, jusqu’à l’allusion au boxeur algérien au Conseil de sécurité », analyse le journaliste Nadjib Belhimer.
Ce dernier rappelle, dans ce contexte, les récents affrontements dans le nord du Mali, près de la frontière algérienne, entre les troupes de Wagner et les groupes de l’Azawad, ainsi que l’avancée du “maréchal” libyen Khalifa Haftar, soutenu par Moscou, vers la frontière est de l’Algérie signalée ces derniers jours.
« La notion d’ami n’existe pas dans les relations internationales », réitère un autre analyste. C’est ce qu’Alger a appris ces derniers mois en faisant face à la polémique créée par l’Association internationale de boxe sur le genre de la boxeuse. « Un long et discret travail de lobbying a été mené par les autorités algériennes contre cette association, confie un haut cadre. Le Comité international olympique a fini par ne plus reconnaître cette entité, déjà suspendue en 2019, qui n’est pas au service du sport, mais d’une certaine idéologie, et qui pose des problèmes au niveau de son fonctionnement et de ses ressources financières opaques. »
La même Fédération Internationale de Boxe avait offert une grosse prime à la boxeuse italienne Angela Carini après son forfait face à Khelif lors du premier match. Une offre refusée par la fédération italienne…
« Cette médaille d’or, c’est ma réponse à tout ce qui s’est passé », a déclaré hier soir Imane Khelif. Son retour en Algérie se prépare avec impatience. Encore une fête !