La tempête du 5 août est venue d’un pays, le Japon, dont les taux bas et la monnaie refuge ne le prédisposaient pas à jouer un tel rôle. Compte tenu des taux négatifs entre 2016 et 2024 et très bas ensuite (0,1% puis 0,25%), les opérateurs ont emprunté massivement et “gratuitement” des yens. Ils les ont ensuite vendus pour acheter des devises de grands pays ou de pays émergents dont les taux sont plus rémunérateurs qu’au Japon. Cet argent a été investi dans leurs dettes, leur permettant d’empocher le différentiel de taux.
Le yen étant resté longtemps faible, le risque de change de ces stratégies apparaissait limité voire nul. La Banque du Japon ayant jusqu’à récemment montré très peu de volonté de relever ses taux, le « carry trade » (stratégie de portage) « made in Japan » apparaissait comme un moyen infaillible de gagner 99% du temps. Le problème dans 1% des cas, c’est la crise. Le gain annuel du « carry trade » face aux principales devises du G10 (autour de 9% à la mi-juillet) a été complètement éradiqué par la crise du 5 août.
Tous les types d’acteurs – hedge funds, sociétés de trading, particuliers, notamment les Japonais eux-mêmes, très friands de ce type d’opérations – pratiquent ou ont pratiqué le “carry trade”, compte tenu de son apparente simplicité. Ses risques ont souvent été perçus à tort comme limités. Il comporte un risque de krach du fait de son extrême popularité et de son extrême sensibilité aux changements de politiques monétaires, notamment des deux côtés de l’Atlantique.
« Spirale de la mort »
Cette stratégie de change est conditionnée à une bonne liquidité du marché afin de pouvoir y mettre fin rapidement si l’environnement devient trop dangereux. Or, la liquidité fait défaut durant l’été. Lorsque de nombreux opérateurs veulent déboucler leurs positions en même temps, c’est une “spirale de la mort” et la contagion se propage à de nombreux actifs risqués. La dette et les devises (Mexique, Turquie, etc.) dans lesquelles ils avaient investi dégringolent du fait de leurs ventes rapides et concomitantes.
Il leur faut récupérer du yen pour rembourser leurs emprunts. En moins de quatre semaines, de la mi-juillet à la crise du 5 août, le yen s’était envolé de 13 % face au dollar, un niveau jamais vu depuis octobre 2008 et la grande crise financière. Tous ceux qui avaient vendu une monnaie, longtemps faible comme son économie, pour investir dans des actifs risqués ont dû stopper l’hémorragie dans la précipitation en inversant le cours. Les traders ont perdu en quelques jours voire quelques heures, tout, voire plus que ce qu’ils avaient gagné en plusieurs mois.
En l’absence de données sur les montants en jeu à l’échelle mondiale pour les opérations de portage, les marchés sont contraints de faire des estimations variables de l’épée de Damoclès qui pèse toujours sur eux.
En l’absence de données sur les montants en jeu à l’échelle mondiale pour les opérations de portage, les marchés sont contraints d’estimer à l’envi l’épée de Damoclès qui pèse toujours sur eux. Une hausse de l’inflation qui pousserait la Banque du Japon (BoJ) à relever encore ses taux raviverait les craintes d’une nouvelle réplique du séisme.
Vieux comme les marchés, le « carry trade » n’est pas enterré malgré la récente tempête. « Les différentiels de taux d’intérêt vont se contracter mais cela ne veut pas dire qu’il y aura convergence. La forte volatilité de la paire dollar/yen est un problème qui pourrait décourager l’utilisation du yen comme monnaie de financement du « carry trade » », note Olivier Korber, stratégiste au département recherche de SG, dans une note. D’autres devises pourraient à terme le remplacer. Par le passé, le franc suisse, l’euro ou le dollar ont joué ce rôle pendant des périodes plus ou moins longues.