C’est la rencontre de deux épouvantails américains. Lundi, Donald Trump accordera une interview à Elon Musk sur le réseau social X, propriété du milliardaire. Si cette interview marque le retour du candidat républicain sur la plateforme dont il avait été suspendu après l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021, elle montre surtout que l’entrepreneur met un peu plus son réseau social au service des populistes. « X est devenu un lieu sûr pour ses supporters car la modération est désormais quasi inexistante et les discours de haine ou les théories du complot ne sont plus supprimés »analyse Kate FitzGerald, de l’université technologique du Queensland en Australie. Et Elon Musk, récemment converti au trumpisme, alimente lui-même les tensions sur sa propre plateforme.
Il multiplie les attaques en tout genre contre Kamala Harris, qu’il qualifie régulièrement de communiste, et use de tous les moyens pour la discréditer. Le 26 juillet, il a partagé avec ses 193 millions d’abonnés une fausse vidéo de la candidate démocrate, générée grâce à l’intelligence artificielle. Au-delà de cette nouvelle aversion pour les démocrates, qu’il avait pourtant soutenus lors des présidentielles de 2016 et 2020, Elon Musk reprend les concepts, parfois complotistes, propres à la galaxie Maga, contraction du slogan trumpiste « Rendre sa grandeur à l’Amérique ». Par exemple, il a récemment regretté d’avoir ” perdu “ sa fille, Vivian Jenna Wilson, “tué[e] par le virus de la culture éveillée » après sa transition de genre il y a quatre ans.
Un mariage de convenance
C’est après la tentative d’assassinat contre l’ancien président le 13 juillet dernier qu’Elon Musk a achevé sa transformation trumpiste. Le mariage entre les deux hommes est d’abord idéologique. Libéral, désireux de s’affranchir de toutes règles, le patron de SpaceX se définit comme un « absolutiste de la liberté d’expression »Mais c’est aussi un mariage de raison, où l’argent compte. Opposé à la politique fiscale et de régulation de l’administration Biden, le fondateur de PayPal voit dans un éventuel retour de Trump à la Maison Blanche une opportunité de faire encore grandir son entreprise. Autrefois farouchement opposé aux voitures électriques, le républicain est revenu sur cette position il y a quelques jours. Une aubaine pour Musk, propriétaire de la marque Tesla. Plus généralement, c’est une opération de séduction que Trump a lancée envers la Silicon Valley, qu’il considérait jusqu’alors comme un repaire de gauchistes.
En promettant un certain laisser-faire s’il est élu, notamment dans les secteurs des cryptomonnaies et de l’intelligence artificielle, il attire désormais les géants de la tech. En juin, il a récolté 12 millions de dollars pour sa campagne lors d’une réception qui a réuni 80 dirigeants du secteur. Wall Street JournalMusk lui-même aurait prévu un don mensuel de 45 millions de dollars pour soutenir le Grand Old Party. Une affirmation contestée par l’intéressé. En revanche, il ne cache pas sa volonté de mettre X au service du républicain. Reste à savoir quels seront les effets réels de ce soutien. « Cela aura forcément des conséquences sur la campagne », souligne Kate FitzGerald. « L’interview que Trump donnera demain lui permettra de créer l’événement, de reprendre le contrôle alors que les dernières semaines ont été dominées par Kamala Harris. »
La concurrence de Threads
A moyen terme, l’impact pourrait toutefois être plus limité, notamment parce que X se fait distancer par un réseau social concurrent, Threads, développé par Mark Zuckerberg. En avril, X comptait 22 millions d’utilisateurs quotidiens, contre 28 pour son rival. Et puis, malgré les ambitions de son patron, l’ex-Twitter n’est pas (encore) devenu un organe de propagande à part entière de la galaxie trumpiste, contrairement au réseau social fondé par l’ancien président, Truth Social. « Les gens s’inscrivent à Truth Social uniquement pour Donald Trump », observe le chercheur. « Le réseau est en grande majorité composé de ses électeurs. »
Enfin, il n’est pas certain que X permette au républicain de convaincre les indécis de voter pour lui en novembre. « La plupart de ses électeurs sur X sont déjà convaincus de voter pour lui, poursuit le spécialiste américain. X peine à attirer un public jeune et apolitisé qui n’a pas encore fait son choix. » Les équipes de Kamala Harris l’ont bien compris et préfèrent investir sur TikTok. En réponse, Trump, qui avait pourtant appelé à interdire le réseau social chinois lorsqu’il était au pouvoir, a fait un retour en force ces dernières semaines. Son dernier post, où il exécute un pas de danse, cumule 43 millions de vues.