Dans son kimono marron, le maître Akira Tada débute la cérémonie par des mouvements lents et minutieux. Ses mains suivent une chorégraphie mille fois répétée pour que l’eau, transférée d’un récipient à l’autre, puisse recevoir la poudre de matcha, le thé vert, dans les meilleures conditions possibles. En quelques secondes, la danse silencieuse de ses ustensiles – louche et cuillère en bambou, tasses en céramique, bols – fait disparaître le temps et l’espace. Nous ne sommes plus dans un salon de l’hôtel Kitano de Tokyo, le luxueux Relais & Châteaux qui accueille occasionnellement des cérémonies ; ce n’est plus l’après-midi et notre fatigue s’est évaporée. C’est comme si la paix intérieure du maître s’était diffusée à travers ce rituel créé au 15ème siècle, enveloppant tout ce qui l’entoure.

Tada revendique une appartenance à la tradition séculaire de l’Urasenke, qui va bien au-delà du simple partage de quelques tasses de thé. Il faut respecter des règles : se tourner vers le maître pour le remercier d’avoir préparé le breuvage, boire gorgée après gorgée sans perturber le rituel par des bavardages intempestifs. Leur objectif est de préserver les piliers de la cérémonie : l’harmonie, le respect, la pureté, la tranquillité.
Mais dans un Japon en pleine mutation, cette « voie du thé » traditionnelle, qui est aussi un chemin d’épanouissement personnel, est en sursis. « En théorie, la cérémonie devrait se dérouler dans une pièce à part, ce qui n’est plus le cas dans la plupart des foyers », confesse Kazuno Abe, l’assistant du maître. « La société évolue, et il est tout naturel que le rituel s’adapte au monde d’aujourd’hui. »
Dans la vie quotidienne des Japonais, le thé n’a que peu de rapport avec ce moment de méditation fragile. On le trouve à chaque coin de rue en bouteille dans les distributeurs automatiques qui pullulent partout au Japon. La poudre verte peut aussi être consommée chez Starbucks en matcha latte ou mélangée à de la purée de fraises (dans des boissons principalement chargées en sucre). S’il est encore parfois possible de trouver du thé en vrac dans les supermarchés, le thé en sachet est plus répandu, preuve que, pour de nombreux consommateurs, sortir une théière est trop chronophage. D’ailleurs, même au Japon, certaines préparations utilisent du matcha chinois, moins cher mais souvent de mauvaise qualité.
En réponse à ces changements, plusieurs entreprises tentent de redéfinir la cérémonie du thé japonaise, non seulement pour les clients locaux, mais pour la rendre plus accessible à sa clientèle internationale sans compromettre la qualité du produit.
Parmi elles, la marque de thé Jugetsudo, qui achète ses feuilles directement aux meilleurs producteurs du pays et se revendique garante du « goût japonais ». Fondée en 1980, Jugetsudo est une émanation de Maruyama Nori, une société fondée en 1854 qui fournissait à l’origine les aristocrates de Kyoto en algues savoureuses. Jugetsudo compte trois boutiques : deux à Tokyo et une dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés à Paris. Toutes se reconnaissent à leur décoration conçue par l’architecte Kengo Kuma, qui a recouvert murs et plafonds de bouquets de bambous, donnant l’impression de pénétrer dans de vastes cabanes ou des temples boisés.
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