La fontaine des Gobelins de Guyancourt, à l’ouest de Paris, n’alimente plus en eau le hameau de Bouviers. C’est pourtant là que la Bièvre, célèbre rivière de la région parisienne, prend sa source avant de couler sur une trentaine de kilomètres pour rejoindre la Seine et Paris. Nombre de rivières françaises ont connu une histoire mouvementée. La Bièvre ne fait pas exception. Rarement une rivière aura été autant malmenée, polluée et négligée par l’homme.
Au 17ème Au 18e siècle, la Bièvre devient un dépotoir pour les teintureries, les tanneries, les mégisseries et les abattoirs, et son cours sinueux est canalisé et pavé pour répondre aux besoins industriels et à l’urbanisation croissante. Dans la capitale, la rivière disparaît même de la carte, ensevelie en 1912, morte de son état nauséabond, pour devenir un égout. On pourrait imaginer un meilleur destin pour une rivière qui attirait autrefois les gens par son eau rare et peu calcaire.
En aval de l’ancienne fontaine des Gobelins se trouve l’étang Braque, premier des étangs de la Minière. Des cormorans viennent de se poser en file indienne sur un tronc épais et déraciné. Ces grands oiseaux aquatiques noirs au ventre pâle vont bientôt s’envoler d’un seul mouvement. Les berges sont très boisées, font partie de la forêt de Versailles et sont gérées par l’Office national des forêts. Ce dimanche matin de février, les sentiers sont éclaboussés de boue, résultat de fortes pluies. Le soleil joue à cache-cache dans les branches dénudées par l’hiver. Des joggeurs et des vététistes, le dos et le visage maculés de boue, émergent parfois du paysage. Dans les années 1960, un centre nautique très fréquenté est créé ici. On vient se baigner à « Paris-sur-la-plage ». Mais tout s’arrête en 1977 pour des raisons sanitaires liées à la mauvaise qualité de l’eau.
Rien, dans ce domaine forestier dense, ne semble rappeler le passé tumultueux de la rivière. « Quand je regarde ce paysage, je ne peux oublier l’histoire douloureuse de la Bièvre. Je la vois comme la vie de certaines femmes, maltraitées, corsetées, aux plaies non pansées », raconte l’illustratrice franco-américaine Suzanne Husky qui, marchant, le front inquiet, dessinait ses impressions dans un carnet vert vif.
Formée à l’Ecole des Beaux-Arts de Bordeaux, elle a suivi des études de paysagisme horticole au Merritt College d’Oakland en Californie et, plus récemment, d’agroforesterie à l’association Arbre et Paysage 32 dans le Gers. Ce solide bagage place cette illustratrice naturaliste à la frontière entre art, poésie et écologisme.
Panneaux naturalistes
À travers sa pratique créative, Husky questionne les formes de domination sur le vivant et décrit la façon dont certains territoires sont perturbés par les activités humaines. En ce sens, l’artiste de 48 ans pose un regard activiste sur les cours d’eau. Ses aquarelles diluées à l’eau de source n’ont qu’un seul objectif : redonner vie au visage oublié des rivières saines et des nombreuses espèces qui les peuplaient autrefois.
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