Dans un bol en terre cuite émaillée baigne une crème noire onctueuse au sésame parsemée de morceaux d’un poisson difficile à reconnaître. En y plongeant votre cuillère pour le goûter, le poisson est confit, salé et délicieusement fumé, avec une texture douce mais légèrement huileuse – rappelant l’anguille.
Mais non, le sourire de David Toutain s’élargit. Dans le restaurant parisien qui porte son nom, le mets qu’il propose depuis le début de l’année est une sorte d’illusion gustative : du hareng qu’il conserve et associe à des œufs de brochet fumés, puisqu’il refuse désormais de travailler l’anguille.
« Pendant 13 ans, je l’ai associé au sésame. C’est même devenu un plat signature », explique Toutain. « Mais comme d’autres chefs travaillant en collaboration avec l’ONG Ethic Ocean, je m’engage à ne plus l’utiliser dans ma cuisine. Cette espèce est en danger d’extinction si nous ne changeons pas nos pratiques. »
Le chef doublement étoilé a avoué que sa prise de conscience environnementale est récente. « Avant, je faisais attention à la saisonnalité des fruits et légumes, moins à celle du poisson, dit-il. Aujourd’hui, je donne des listes claires de ce que je veux et ne veux pas. Je ne suis pas le seul à y prêter attention. » De beaux bistrots comme Le Bon Georges dans le 9e arrondissement de Parisème Les habitants de l’arrondissement partagent la même philosophie. Ils achètent en quantité limitée et rayent le plat du jour de l’ardoise lorsque les rations sont épuisées.
Il fut un temps où un bon restaurant était synonyme d’abondance. Aujourd’hui, un établissement de qualité se définit avant tout par ce qu’il ne propose plus. Dans les restaurants étoilés, la viande rouge – dont la consommation excessive nuit à la santé et augmente les risques de cancer, sans parler de son effet sur la planète avec les émissions de gaz à effet de serre – est proposée en tranches miniatures. Certains établissements influents, comme Geranium à Copenhague, s’en passent même complètement.
Produits locaux
Les produits exotiques, eux aussi à forte empreinte carbone, n’ont plus la cote. A l’Auberge Sauvage, créée dans un ancien presbytère de la baie du Mont-Saint-Michel, le chef Thomas Benady n’utilise ni vanille ni même chocolat. Les avocats, qui nécessitent des quantités massives d’eau pour pousser, sont aussi parfois bannis. Une recette de guacamole au brocoli a même essaimé dans de nombreux restaurants éco-responsables de la capitale, des bistrots comme La Bagarre, qui propose des tacos 100% français, aux tables gastronomiques comme Galanga, gérée par Thomas Danigo.
« S’il y avait plus de transparence sur l’origine des produits, je suis convaincu que beaucoup d’autres ne seraient plus utilisés », a plaidé Clément Leroy. Après avoir travaillé une douzaine d’années chez Guy Savoy, le chef a repris l’une des adresses emblématiques de son mentor, Le Chiberta, près des Champs-Elysées. Sa carte s’inscrit dans la grande tradition française tout en prenant en compte les enjeux environnementaux : « L’idée, c’est de faire plus avec moins », a-t-il expliqué.
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