Un marché du carbone comme fer de lance de la lutte contre les changements climatiques était une bonne idée lorsque le Québec et la Californie ont lié leurs systèmes respectifs il y a dix ans. Mais il faudrait un sérieux resserrement de la vis, selon plusieurs observateurs.
Première proposition : limiter davantage le « droit à polluer » des entreprises. Chaque année, les deux États mettent en circulation sur le marché du carbone des droits d’émission de gaz à effet de serre (GES), que les entreprises polluantes sont obligées d’acheter pour compenser leurs émissions. Si le total de ces droits diminue chaque année – pour inciter les entreprises à émettre moins de GES –, il ne diminue pas assez vite aux yeux de plusieurs. Le Comité consultatif sur les changements climatiques (CCCC), un organisme indépendant qui conseille le gouvernement du Québec, propose de réduire le nombre total de droits d’émission en circulation de 17 millions d’unités d’ici 2030, soit environ 6 % par année si la réduction est étalée sur cinq ans, plutôt que la réduction annuelle de 2 à 3 % actuellement prévue.
Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, suggère d’aller encore plus loin. Dans une étude publiée en avril dernier, lui et sa collègue Noémie Vert Martin concluaient qu’il faudrait restreindre ces droits de 19 à 24 % par année d’ici 2030 pour que le Québec et la Californie atteignent leurs cibles.
Autre solution : assujettir davantage d’entreprises au marché du carbone. Actuellement, cela inclut les établissements industriels les plus polluants (alumineries, cimenteries, etc.) et les distributeurs de combustibles fossiles, qui représentent environ 77 % des émissions de GES au Québec. Le CCCC propose d’assujettir le secteur des déchets dès que possible et le secteur de la petite industrie à compter de 2027, ce qui porterait le pourcentage des émissions couvertes à environ 87 %.
Si davantage d’entreprises doivent se partager les droits d’émission restants, chacune d’entre elles en détiendra moins, comme un gâteau qu’il faut diviser en plus petits morceaux pour nourrir plus de convives. Cela augmente l’incitation à limiter les émissions de GES.
Un autre aspect du système qui est critiqué est celui des crédits compensatoires vendus par des promoteurs privés dont les activités réduisent les émissions de GES, comme l’entreprise WSP Canada, qui capte et détruit du biogaz dans divers sites d’enfouissement du Québec. Les entreprises québécoises polluantes peuvent compenser jusqu’à 8 % de leurs émissions de GES en achetant de tels crédits (92 % doivent être des droits d’émission « ordinaires »).
Le CCCC propose que d’ici 2027, ces crédits compensatoires ne puissent plus être achetés par les entreprises assujetties au marché du carbone. Le gouvernement du Québec financerait plutôt ces initiatives de réduction des GES. « Nous avons proposé qu’il y ait une sorte de divorce entre les crédits compensatoires et le reste du système », explique Charles Séguin, professeur au Département d’économie de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), qui est membre du comité.
Pierre-Olivier Pineau lance de son côté l’idée d’une formule deux pour un : obliger les entreprises à acheter deux tonnes de crédits pour chaque tonne d’émissions à compenser.
Peu importe l’option choisie, il ne faut pas mettre fin aux crédits compensatoires, estime Mark Purdon, titulaire de la Chaire sur la décarbonation à l’UQAM. Car cela incite les promoteurs à lancer des initiatives de réduction des GES pour vendre ces crédits. « Cela crée un environnement favorable et stimule l’innovation », dit-il.