Lucky Love est le nom de scène de Luc Bruyère, né à Lille en 1993. Acteur, danseur et ancien performer du célèbre cabaret Madame Arthur à Paris, il est aujourd’hui chanteur. Le soir du 28 août, il a interprété sa chanson “Masculinity”, une ballade pop mélancolique sur le genre et les normes corporelles devenue “My Ability”, sur la place de la Concorde lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques, mise en scène par Thomas Jolly.
Vous souffrez d’agénésie, une absence congénitale du bras gauche. Est-ce la raison de votre présence à une cérémonie dédiée aux sportifs handicapés ?
Non. En fait, quand on m’a demandé de chanter lors de la cérémonie, ma première réaction a été de dire non. Je ne voulais pas être un porte-étendard. Tout simplement, je ne me sens pas handicapée. Je suis née sans bras. Comme je n’ai jamais rien connu d’autre, je ne ressens aucun manque. Seulement celui de vivre dans un autre corps.
Finalement, après avoir longuement parlé avec Thomas Jolly, j’ai compris qu’ils étaient déterminés à faire de cette cérémonie un événement à la hauteur de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques du 26 juillet. Non moins important et surtout tout aussi inclusif. Ils n’ont pas attendu les Jeux paralympiques pour s’y inclure. C’est ce qui m’a donné envie d’y être. Surtout pour chanter ma propre chanson, « Masculinity ».
Pourquoi ce morceau ?
Cette chanson, sortie au printemps 2023, a eu un écho incroyable partout dans le monde. L’idée de masculinité n’est pas la même en Amérique du Nord, en Asie, en Europe… Mais elle a fédéré quelque chose, notamment sur les réseaux sociaux. Dans ce cas, j’ai modifié les paroles pour que tout le monde soit représenté, y compris les athlètes féminines. Le plus important pour moi était que personne ne se sente exclu lors de la cérémonie.
Pour moi, c’est ça le pouvoir de la pop : rassembler. J’aime l’idée que la musique puisse véhiculer des idées et devenir à la fois un objet personnel et politique. Un espace sûr.
Un tableau de la cérémonie d’ouverture du 26 juillet a particulièrement choqué les spectateurs, qui y ont vu une parodie de la Cène, déclenchant des vagues de haine sur Internet. Que pensez-vous de ces réactions ?
Je n’ai pas été surprise, même si je dois admettre que j’ai été attristée. C’est parce que ça ne m’a pas surprise que ça me dérange. Ce qui me met vraiment en colère, c’est que ça ne nous surprenne même pas.
C’est un moment historique, et ils ne peuvent pas nous effacer. Ils ne peuvent pas effacer Raya Martigny (mannequin transgenre) vêtue du drapeau bleu, blanc et rouge. Ils ne peuvent pas effacer Barbara Butch (la DJ). Ils ne peuvent pas effacer Philippe Katerine, complètement nu et complètement bleu, entouré de figures queer. Ils ne peuvent pas effacer les drag queens, car ils font partie de notre histoire. Cela permet à tous les Français, et d’ailleurs au monde entier, de voir qu’en France, la communauté LGBT ne peut plus être invisibilisée. Peu importe que certains s’agitent derrière leurs pseudonymes et leurs écrans, scandalisés. Tant pis pour eux, tant mieux pour nous. Il faudra juste qu’ils s’y habituent.
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