Docteure en communication publique, Émilie Foster est professeure agrégée de politique appliquée à l’Université Carleton. Ses recherches portent principalement sur les partis politiques, la démocratie et la communication politique. Elle a été membre du gouvernement de la Coalition Avenir Québec de 2018 à 2022. Elle avait auparavant été conseillère politique au cabinet de François Legault dans l’opposition.
On savait que Pierre Fitzgibbon n’allait pas terminer son mandat — son refus de répondre aux questions à ce sujet en disait long. Mais le fait qu’il quitte le pouvoir au moment même où la Coalition avenir Québec (CAQ) espérait un retour en force n’en est pas moins surprenant et compliquera certainement la stratégie du gouvernement pour les mois à venir.
Le timing choisi par le ministre de l’Énergie, de l’Économie et de l’Innovation pour quitter la scène a de quoi surprendre. On s’attendait à ce qu’il attende au moins l’adoption de son projet de loi sur l’avenir énergétique du Québec (PL69), déposé en juin dernier et dont l’étude devait débuter dans une semaine…
Le fait qu’il ait démissionné au moment même où le processus s’amorçait soulève des questions sur les véritables raisons du départ de celui qui bénéficiait d’un accès direct et constant au premier ministre — plus que tout autre député ou ministre. Devant son caucus, François Legault n’a jamais hésité à défendre vigoureusement son ministre, même lorsque ce dernier était la cible d’enquêtes du commissaire à l’éthique et à la déontologie (à qui Pierre Fitzgibbon a donné beaucoup de travail…).
Tout cela place le gouvernement dans une situation délicate. François Legault a peu de temps pour réorganiser son cabinet — la session reprend le 10 septembre. Les journalistes seront attentifs aux réactions du caucus dans les prochains jours, l’opposition ne manquera pas d’exploiter ce départ lors des périodes de questions à la Chambre…
La CAQ avait réussi à regagner quelques points dans les sondages au cours des derniers mois, mais la démission surprise d’un des poids lourds du gouvernement envoie le signal que quelque chose ne va pas. Cette démission survient quelques mois seulement après le départ d’Éric Lefebvre, qui était whip et représentait la cohésion et la discipline du parti. Deux départs hautement symboliques pour le gouvernement.
Les questions abondent. Pourquoi partir à un moment aussi critique pour le gouvernement ? Pourquoi le faire avant d’avoir complété son projet de loi sur l’avenir énergétique du Québec, qu’il considérait, avec Northvolt, comme son héritage politique ? Le projet est-il plus menacé que ne le suggère Pierre Fitzgibbon ? Pas plus tard que mardi matin, il donnait des entrevues sur Northvolt et les difficultés de l’industrie des batteries pour rassurer la population… Il laisse ainsi son ami François Legault seul face à une « tempête parfaite », alors que ce projet phare était censé être l’un de leurs principaux héritages politiques.
Personnalité polarisante, Pierre Fitzgibbon suscitait autant d’admiration que de mécontentement au sein du caucus de la CAQ. Certains députés le considéraient comme un atout précieux, tandis que d’autres le voyaient comme un fardeau, exposant régulièrement la CAQ à la controverse. Son départ pourrait perturber l’ambiance au sein des troupes, même s’il ne devrait pas miner le moral.
Il faudra aussi voir comment François Legault négociera la question du remaniement qu’il doit maintenant effectuer, lui qui a toujours montré une réticence à bousculer son cabinet. Différentes possibilités s’offrent à lui : confier les portefeuilles de Pierre Fitzgibbon à un ministre en poste pour limiter l’effet domino ; attendre début 2025 pour envisager un remaniement plus important ; etc. Mais ce qui est sûr, c’est que François Legault et son entourage peuvent s’attendre à ce que de nombreux députés viennent frapper à leur porte lors du caucus qui débute aujourd’hui.
Une autre conséquence de la démission de Pierre Fitzgibbon pourrait être plus grave pour la CAQ. Une élection partielle devra être organisée dans la circonscription de Terrebonne, où le site Qc125, propriété de notre collègue Philippe J. Fournier, donne une avance au Parti québécois (et une probabilité de victoire de 95 %). Une défaite de la CAQ serait un symbole fort de l’incapacité du parti à se relever et à remporter les prochaines élections générales.
Pour l’instant, Pierre Fitzgibbon et sa franchise ont le mérite d’avoir suscité des discussions cruciales, notamment sur les enjeux futurs liés aux tarifs d’électricité et aux choix énergétiques. Il laissera un grand vide politique à la CAQ… ainsi que plusieurs dossiers et dossiers en suspens.