Chaque matin, Louis Canadas enfourche son vélo cargo, équipé du matériel nécessaire, pour immortaliser un Paris métamorphosé. Durant la quinzaine des Jeux olympiques, le photographe de 36 ans, un Parisien originaire de Bourges, dans le centre de la France, s’est employé à capturer l’atmosphère unique qui y règne, en se concentrant sur les marges de la compétition. « Toute la ville est devenue un site olympique », a-t-il observé. Dans le métro et dans la rue, les nombreuses enseignes sont impossibles à manquer, comme dans la vitrine d’une friperie où des cerceaux vintage sont disposés en forme d’anneaux olympiques.
Les sites olympiques emblématiques comme la place de la Concorde et le Grand Palais, où les athlètes du monde entier étaient accueillis par un public enthousiaste, ont ravi les détenteurs de billets pour les compétitions. D’autres ont profité des épreuves gratuites. “Ce qui est incroyable, c’est que les gens ne se battaient pas, comme d’habitude, pour la vue. Ils voulaient juste être là, partager le moment, plus encore que le voir de leurs propres yeux. Ça m’a donné des frissons”, s’est étonné le photographe.
Les spectateurs étaient exaltés en remontant la rue Lepic vers la Butte Montmartre. Dans le décor de carte postale d’un Paris tout droit sorti de AmélieLes Canadiens ont compté pas moins de trois demandes en mariage en l’espace de quelques minutes, entre deux passages furtifs des épreuves de cyclisme sur route des 3 et 4 août.
Au passage des coureurs, des cris et des chants ont éclaté. D’ordinaire, ces clameurs auraient fait hurler les habitants, mais pas ici. Canadas a raconté des scènes parfois farcesques de touristes et de Parisiens grimpant aux barreaux des fenêtres jusqu’au deuxième étage des immeubles. Inquiets, les habitants ont ouvert leurs fenêtres pour les laisser se tenir.
Une ville transfigurée
Il y a de la joie, et parfois un brin de folie, dans les images filmées par ce passionné de sport. Elles captent l’émotion des spectateurs du stade, témoins des exploits d’athlètes qui leur étaient souvent inconnus quelques heures plus tôt. « Lors du 3 000 mètres steeple, j’ai vu des gens pleurer devant la quatrième place d’Alice Finot. »
Dans leur propre ville transfigurée, de nombreux Parisiens se sont métamorphosés en « touristes » : une larme sur la joue à la vue de la vasque olympique, une casquette frappée du logo « Paris 2024 » devant laquelle les amis se pâmaient. Réputés grincheux, et plus justement décrits par les Canadiens comme « un peuple habitué à minimiser l’extase », les Français ont mis un terme au cliché.
Sur ces photos, on croise aussi des policiers joviaux. La plupart d’entre eux, parachutés à Paris depuis leur zone d’intervention, se sont retrouvés touristes parmi les touristes, donnant lieu à des scènes insolites. « Un jour, je faisais des prises de vue au Stade de France. J’avais garé mon vélo contre une grille à l’entrée. Quand je suis revenu quelques heures plus tard, il avait disparu. J’ai d’abord pensé qu’il avait été volé. En me dirigeant vers les policiers, j’ai remarqué une très longue file de supporters. Les policiers avaient l’air très sérieux et m’ont fait monter dans le camion. Ils m’ont alors expliqué que, pour des raisons de sécurité, ne pouvant pas accéder au contenu de ma cargaison, mon vélo avait été emmené aux démineurs à 10 kilomètres de là. J’avais bloqué l’entrée du stade à plus de 4 000 personnes. Au lieu de me sermonner ou de me punir, un policier a plaisanté avec moi sur la situation. »
Le soir du 11 août, au Club France de La Villette, au nord de Paris, épicentre des supporters qui ont accueilli au total 600 000 personnes, il a assisté à des scènes d’adieu entre visiteurs et forces de l’ordre, le temps d’une dernière photo souvenir. Conscient du caractère éphémère de ces instants, sans illusion sur ce paradis artificiel dont les sans-abri étaient exclus, le photographe s’est néanmoins réjoui d’avoir entrevu un « Paris idéal ».
Le lendemain de la cérémonie de clôture, après deux semaines qui ont semblé durer « à la fois 24 heures et quatre mois », le Canadien s’est souvenu d’un « endroit où nous ne pourrons plus jamais retourner ». Il a avoué qu’il ressentait lui aussi ce que d’autres ont appelé « la nostalgie olympique » : il a « le blues olympique ».