Aujourd’hui président-directeur général de la Fondation du Grand Montréal, Karel Mayrand est depuis 25 ans un observateur privilégié des enjeux environnementaux.
Le Québec se targue d’être en tête de la classe : selon le dernier inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre (GES), celles-ci ont diminué de 8,9 % depuis 1990. Mais en réalité, les émissions du Québec ont à peine diminué depuis 2014 et suivent même une tendance légèrement à la hausse (2020 et 2021 font exception, en raison de la pandémie qui a temporairement ralenti les activités et les émissions). Il est encore tôt pour juger de l’impact du Plan pour une économie verte 2030 adopté par le gouvernement en 2020, mais il semble difficile d’atteindre l’objectif : réduire les émissions de 37,5 % par rapport à leur niveau de 1990 d’ici 2030 et les ramener à zéro d’ici 2050. Pour y parvenir, il faudra changer radicalement d’approche.
À l’heure où de plus en plus d’efforts sont demandés aux citoyens et aux entreprises, le gouvernement du Québec — le plus important investisseur, employeur, donneur d’ordre et gestionnaire d’immeubles au Québec — doit en faire davantage, comme toute bonne entreprise socialement responsable.
De 2010 à 2020, j’ai eu l’occasion de siéger aux comités consultatifs du gouvernement du Québec sur les changements climatiques et d’être un observateur privilégié de l’évolution des politiques climatiques du Québec sous cinq ministres de trois partis différents. Même si les résultats ne sont pas encore à la hauteur, il faut saluer la continuité de l’action climatique du Québec, qui transcende les clivages partisans, faisant du Québec une société climatique véritablement distincte en Amérique du Nord.
Au sein de ces comités, j’ai souligné dès 2011 que le Québec frapperait un mur vers 2020 s’il ne changeait pas d’approche et ne mobilisait pas l’ensemble de l’appareil gouvernemental autour de l’objectif de décarbonisation de notre économie. Le gouvernement du Québec représente à lui seul le quart du PIB du Québec avec des dépenses de programmes d’un peu plus de 137 milliards de dollars, sur un PIB qui était d’un peu plus de 545 milliards de dollars en 2022. Or, le gouvernement du Québec ne connaît pas ses émissions de carbone, et il n’a pas d’objectif pour les réduire. Atteindre notre cible climatique sans un engagement sérieux du gouvernement à réduire ses émissions, c’est comme essayer de réduire les émissions à l’échelle mondiale sans un engagement des États-Unis, qui représentent le quart de l’économie mondiale.
Le Plan pour une économie verte contient des engagements peu contraignants pour l’État : « Les objectifs d’électrification et de lutte contre le changement climatique doivent être intégrés dans les orientations, les politiques et les stratégies du gouvernement. […] À cet égard, l’État donnera l’exemple en allant au-delà du niveau d’ambition de la cible fixée pour l’ensemble du Québec d’ici 2030. Il posera des gestes décisifs pour réduire ses propres émissions de gaz à effet de serre. L’État sera également exemplaire dans l’acquisition de produits et de services québécois en matière d’électrification et de lutte aux changements climatiques. « En fait, le plan laisse à la discrétion de chaque ministère le soin de déterminer la nature et le rythme des mesures qui seront adoptées, et l’État n’impose aucune cible de réduction de ses émissions.
Le Québec signe des contrats publics d’une valeur d’environ 14,5 milliards de dollars par année, et la réduction des émissions n’est pas une priorité dans l’attribution de ces contrats. En 2019-2020, seulement 50 % des ministères et organismes disposaient d’une politique d’approvisionnement responsable ou de lignes directrices en matière de développement durable, et il n’est pas certain que la réduction des GES en fasse partie. De nombreux innovateurs québécois dans le domaine des technologies vertes m’ont confié qu’ils ont du mal à vendre leurs inventions ici, en partie parce que le gouvernement ne les favorise pas lors de l’attribution de ses contrats.
Le gouvernement du Québec possède également le plus important parc immobilier du Québec. À ce propos, il faut souligner l’engagement de la Société immobilière du Québec (SIQ) de réduire ses émissions de GES provenant des systèmes de chauffage de 50 % par rapport à 2012 d’ici 2030 en éliminant le mazout et le propane et en mettant en place une gestion écoénergétique. Il est encore tôt pour savoir si cette orientation sera mise en œuvre ou mise de côté, comme c’est souvent le cas, pour réduire l’enveloppe budgétaire sous la pression du Conseil du trésor. La SIQ vise également à prévenir l’apparition de nouveaux îlots de chaleur lors de travaux d’aménagement ou de réaménagement urbain. Cet engagement est discutable étant donné qu’elle vient de convertir des terres agricoles en un immense stationnement qui sera attenant à l’hôpital de Vaudreuil en construction.
Le réseau de la santé représente 3,6 % des émissions du Québec, soit 2,7 millions de tonnes de GES, selon un rapport produit pour l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ). Décarboner les 1534 bâtiments du réseau d’ici 2040 coûterait 3,8 milliards de dollars, une somme importante, mais les économies d’énergie générées dépasseraient le milliard de dollars d’ici 2050. Cet investissement, qui est raisonnable, n’est pas prévu pour l’instant, et il a fallu la contribution d’un organisme, l’ASPQ, et du financement philanthropique pour réaliser cet inventaire, qui aurait dû être fait par le gouvernement, puisque la santé est une mission qui accapare plus de la moitié de ses dépenses.
Le gouvernement est aussi le principal investisseur au Québec. Le Plan québécois des infrastructures (PQI) représente des investissements de 150 milliards de dollars sur les 10 prochaines années, dont 80 milliards pour maintenir le parc d’infrastructures. Ces investissements dans nos routes, nos écoles, nos hôpitaux, nos bâtiments publics et nos transports collectifs sont cruciaux pour réduire les émissions de GES et améliorer notre résilience et notre adaptation à une crise climatique qui s’accélère. Regarder l’ensemble du PQI sous un prisme qui priorise le climat donnerait un coup de pouce décisif à la lutte aux changements climatiques au Québec. Cependant, les objectifs climatiques continuent d’être traités comme des enjeux périphériques, sans véritable changement dans notre approche.
Le Québec s’est également doté d’une Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire et d’une Politique de mobilité durable qui ont le potentiel de freiner l’étalement urbain et de transformer nos transports, ce qui aurait un effet déterminant sur les émissions de GES et l’adaptation. Mais ces politiques ne sont pas mises en œuvre faute d’argent et de volonté. Pire encore, les ministères et organismes québécois ne les respectent souvent pas.
Que faut-il retenir de tout cela ? Alors que les émissions de GES stagnent, le gouvernement du Québec doit en faire plus. Cela passe par la mise en place de la lutte aux changements climatiques au cœur des priorités gouvernementales et par la remontée de cette priorité au plus haut niveau de l’État, plutôt que de laisser chaque ministère déterminer ses cibles et son rythme. Seul le budget gouvernemental peut y parvenir.
Toutes les décisions budgétaires et d’investissement du gouvernement doivent être revues à la lumière de leur impact sur les GES. Les municipalités et les pays ont adopté des budgets climat qui permettent de réaliser cet exercice. Le gouvernement doit également mesurer ses émissions de GES et consacrer les ressources financières nécessaires à la décarbonisation de ses propres opérations dans une optique d’exemplarité. Pour ce faire, le Québec doit se fixer des cibles et les inclure dans son processus budgétaire. Sa crédibilité aux yeux des entreprises et des citoyens en dépend.