À Gore, dans les Laurentides, on peut se promener autour des tourbières Lynn, Luke et Agnes, qui portent le nom de trois des quelque 2 300 résidents du canton. « Nous nommons nos lacs, nos ruisseaux et nos montagnes parce qu’ils sont importants. Les milieux humides sont aussi importants, explique le maire de Gore, Scott Pearce. Nommer, c’est connaître la nature, l’aimer et donc mieux la protéger. »
Le projet d’usine de batteries de Northvolt en Montérégie a permis de mettre en lumière ces écosystèmes composés de terres inondées ou gorgées d’eau, dont des étangs, des marais et des tourbières. Bien que discrets, ils abritent une grande biodiversité et fournissent des services écologiques essentiels, comme la filtration de l’eau et la séquestration du carbone.
Sous la direction générale de Julie Boyer, l’équipe municipale travaille à identifier et nommer chacun de ces espaces, afin de souligner leur importance. Les noms de lieux sont choisis en fonction d’éléments proches, comme un lac, ou en l’honneur de personnages historiques ou de propriétaires fonciers. Des affiches seront également installées pour indiquer le type de milieu, son nom et les espèces qui y résident, comme l’orignal, le renard et les plantes carnivores. Une initiative qualifiée d’avant-gardiste par la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec), qui espère qu’elle inspirera d’autres municipalités.
« C’est un excellent geste d’appropriation, affirme Sylvain Jutras, professeur spécialiste en hydrologie forestière et des milieux humides à l’Université Laval. La protection des écosystèmes passe par une meilleure connaissance et une meilleure compréhension de leurs fonctions. »
Pour le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE), la sensibilisation du public est l’une des clés du succès des cadres juridiques qui préservent l’environnement. « Cela peut certainement se faire en nommant des entités géographiques comme les milieux humides, explique Marc Bishai, avocat au CQDE. On peut imaginer une plus grande volonté populaire de protéger un milieu avec un nom unificateur plutôt que la désignation “MH-23”, par exemple. » Toute municipalité peut déposer des noms auprès de la Commission de toponymie, qui en répertorie 2000.
L’idée est venue à Pearce en 2017, lorsque la loi sur la conservation des zones humides a été modifiée pour introduire un système de compensation. Les entreprises autorisées à détruire une zone versent désormais des contributions au Fonds de protection de l’eau et de l’environnement de l’État. L’argent récolté – 120 millions de dollars à ce jour – est utilisé pour créer ou restaurer des zones humides similaires.
« Je trouve scandaleux de payer pour combler des zones humides », déplore le maire. « Elles sont là pour une bonne raison, laissons-les là. » Depuis plusieurs années, son équipe fait tout pour dissuader les grands promoteurs.
Le principe de « perte nette zéro » du Fonds peine à atteindre ses objectifs. De 2017 à 2022, l’État a permis la destruction de 14,9 millions de mètres carrés de milieux humides et aquatiques, dont 5,8 millions ont été indemnisés. « L’intention du législateur n’était pas d’autoriser systématiquement les destructions », analyse Sylvain Jutras. Cependant, il n’existe aucun outil permettant d’éviter cette situation, c’est pourquoi les développeurs choisissent presque toujours la compensation.
Alors que la restauration prend 3 ou 4 ans, les tourbières ont besoin d’au moins 10 ans pour accumuler à nouveau une quantité significative de carbone. Face à l’urgence climatique, des initiatives comme celle de Gore sont donc vitales. « Protéger les milieux humides nécessite une gestion locale, j’en suis convaincu », affirme Sylvain Jutras.