Lorsqu’Alexandre de Rothschild a pris la tête de la prestigieuse banque fondée par son père David au printemps 2018, il n’était qu’un simple diplômé d’une modeste école de commerce. Mais son éducation parfaite faisait de lui le prolongement naturel de son père, très respecté dans le monde des affaires, et d’un nom qui véhicule à la fois un certain prestige et les fantasmes les plus noirs du monde des affaires. Il savait aussi qu’il assoirait sa crédibilité en réglant d’emblée un problème grave : le conflit qui rongeait sa famille depuis trois ans.
A l’époque, les relations entre les branches française et suisse de la célèbre famille, née en 18èmeL’Europe du XIXe siècle s’était dégradée. Côté suisse, Benjamin, né en 1963 (et décédé en 2021), n’avait pas le vernis poli de ses cousins français, David et Alexandre, et rompait souvent avec la tradition. Sa mère, Nadine, ancienne comédienne devenue baronne en épousant Edmond de Rothschild (1926-1997), avait rédigé des guides d’étiquette et un livret intitulé Réussir l’éducation de nos enfants Benjamin ne semble pourtant respecter aucune convention. En 2007, il est même placé en garde à vue après avoir pointé un laser sur une policière postée devant le palais présidentiel depuis son hôtel particulier parisien, près de l’Elysée. En 2015, rongé par ses addictions, il cède à sa femme Ariane les commandes du groupe dont il a hérité, l’une des plus grandes banques suisses.
Ariane de Rothschild est bien plus « disciplinée » que son mari. Première femme à la tête d’une institution Rothschild, elle a décidé d’affirmer son autorité en poursuivant son cousin français David pour « concurrence déloyale », après avoir déposé une plainte pour « abus de patrimoine familial ». Ce « patrimoine familial » n’est autre que le nom Rothschild. Selon elle, il n’était pas possible que deux banques concurrentes, l’une suisse et l’autre française, partagent le même nom.
En réalité, cette bataille pour l’usage du nom de famille cache des blessures plus profondes. L’antagonisme entre les deux branches remonte à la génération précédente : le père de David (le grand-père d’Alexandre), le très sophistiqué baron Guy de Rothschild, ne cachait pas son mépris pour son cousin Edmond, poussant ce dernier à s’exiler en Suisse pour fonder sa propre banque. A la génération suivante, David, connu pour ses talents de diplomate, n’eut pas plus de succès auprès de Benjamin et d’Ariane, et le conflit dégénéra en guerre ouverte.
Dans son grand bureau de la rue de Messine (8ème arrondissement de Paris), vêtu d’un costume sombre façon londonienne comme les banquiers du monde entier, les cheveux ondulés plaqués en arrière et arborant un sourire bienveillant, Alexandre de Rothschild n’a pas oublié l’incident qui l’a jeté dans la gueule du loup, sous les yeux du monde des affaires pour voir comment s’en sortirait le « fils de David ». « La situation était très tendue entre mon père et Ariane, se souvient le jeune héritier. Je lui ai succédé le 17 mai 2018 et, le 19 mai, je suis allé la voir à Genève. Je lui ai proposé une autre méthode : s’enfermer dans une pièce et n’en sortir qu’une fois que nous aurons trouvé un accord, comme on le fait dans les affaires. » Les deux parties ont convenu de se revoir quinze jours plus tard avec leurs conseillers pour finaliser un accord. « Avec moi, il n’y a eu aucune émotion, poursuit Alexandre. Cela n’a pris que 15 minutes. Nous avons convenu d’ajouter « et Cie » à notre nom, et nous avons rompu nos liens financiers en dénouant nos participations croisées. »
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