Dans cette vaste étendue qu’est le fleuve Saint-Laurent, une impressionnante diversité d’animaux vit sur les fonds marins. Cet ensemble d’organismes est appelé benthos.
Ces organismes vivent enfouis dans le sédiment (endobenthos) ou à sa surface (épibenthos). Les invertébrés benthiques sont dépourvus de colonne vertébrale, peu mobiles et généralement de petite taille.
Et elles sont loin d’être rares : en 1988, les chercheurs avaient déjà répertorié plus de 1 855 espèces d’invertébrés benthiques dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent, ce qui représentait alors 84 % de toutes les espèces d’invertébrés du Saint-Laurent marin.
Il va sans dire que plusieurs nouvelles espèces ont été identifiées depuis et que les connaissances continuent de s’améliorer.
Spécialistes en écologie benthique, nous vous proposons de découvrir le benthos avec ces six particularités qui piqueront certainement votre curiosité !

Cet article fait partie de notre série Le Saint-Laurent en profondeur.
Ne manquez pas les nouveaux articles sur ce fleuve mythique, d’une beauté remarquable. Nos experts se penchent sur sa faune, sa flore, son histoire et les défis auxquels il fait face. Cette série vous est présentée par La Conversation.
Vers lumineux
Comme les vers de terre de nos jardins, les vers marins peuplent les fonds marins. Ils se présentent sous des formes et des tailles variées, et dans certains cas sont même recouverts d’écailles. Leur originalité ne s’arrête pas là, puisque certains de ces vers sont capables de bioluminescence ! La production de lumière sous forme d’éclair lumineux a trois fonctions générales : défensive (pour échapper aux prédateurs), offensive (pour favoriser la prédation) et communicative (pour la reproduction).
Dans le Saint-Laurent, les seuls vers écailleux possédant cette capacité sont du genre Harmothoéet cinq espèces ont été identifiées. Aussi bien en zone côtière qu’en eau profonde, ces espèces sont présentes sur les fonds argileux que sur les fonds rocheux.
Les coraux ont-ils froid ?
Pour plusieurs, l’océan rime avec vacances, chaleur, plongée… et coraux. Mais les coraux ne se trouvent-ils que dans les eaux chaudes ? Absolument pas ! Une vingtaine d’espèces vivent dans les eaux du Québec maritime, et cette richesse triple si l’on inclut la côte est canadienne.
Mais qu’est-ce que le corail ? Les coraux sont en fait des polypes marins, c’est-à-dire des animaux cylindriques dotés d’une bouche entourée d’un anneau de tentacules, qui sécrètent une molécule, le carbonate de calcium, qui leur permet de former une forme de squelette.
Il en existe deux types : les coraux mous, composés d’un squelette interne qui renforce la structure de la colonie (ensemble d’individus clonés), tout en assurant son élasticité, et les coraux durs, où chaque polype sécrète un squelette externe en forme de coupe, qui crée leur rigidité caractéristique.
Non seulement les coraux peuplent les eaux froides du Saint-Laurent, mais l’espèce qui détient le titre du plus grand invertébré marin de la planète est présente à l’entrée du golfe, notamment sur les pentes rocheuses du plateau néo-écossais ! Arbre paragorgiadont certaines colonies peuvent atteindre six mètres de hauteur.
Les étoiles de mer : ces redoutables gourmands
Elles sont souvent colorées et jolies au point d’être trouvées dans les boutiques de souvenirs. Mais ne vous fiez pas aux apparences : les étoiles de mer sont de redoutables prédateurs ! Et leur façon de se nourrir pourrait bien influencer le regard que vous porterez sur elles à partir de maintenant…
Face aux deux espèces les plus voraces du Saint-Laurent (Astérias rougissant et Leptasterias polaris), les moules n’ont qu’à bien se tenir ! Grâce à des dizaines de pieds ambulacraires, ces petites ventouses situées sur la face ventrale, une étoile de mer peut ouvrir une moule sans trop de difficulté. Dès que la moule montre des signes de faiblesse, l’étoile de mer a la capacité d’extraire son propre estomac de son corps (on parle de « dévagination ») et de l’insérer dans la moule, où, au contact de la chair, la digestion commence. Le repas durera, dans cette position plutôt inhabituelle, une dizaine d’heures. Après quoi, l’étoile de mer avalera son estomac et se mettra en chasse de nouvelles proies.

Vous avez dit centenaire ?!
Présent dans le golfe du Saint-Laurent, particulièrement aux Îles-de-la-Madeleine, le quahog nordique (Arctique islandais) est l’animal qui vit le plus longtemps au monde. C’est un mollusque bivalve protégé par une coquille calcaire formée — comme son nom l’indique — de deux valves, comme une moule ou une huître. Le quahog du Nord peut vivre facilement jusqu’à 200 ans, mais le spécimen le plus vieux, recensé en Islande, avait 507 ans.

D’autres bivalves sont connus pour leur longue vie. L’âge de ces mollusques est déterminé par les anneaux de croissance sur leur coquille, un peu comme les arbres, mais la technique s’appelle la sclérochronologie. Il est même possible de lire le climat passé dans la coquille de nombreux bivalves et d’utiliser ces informations pour prédire les conditions futures.
Les vers, la médecine et les Jeux Olympiques
Vers arénicaires (Port de plaisance d’Arenicola) se reconnaissent à la forme typique de leur terrier, que l’on peut observer à marée basse sur la côte du Saint-Laurent (un monticule de petites torsades).
Bien qu’apparemment ordinaires, ces vers marins pourraient permettre de grandes avancées dans le domaine médical grâce à leur hémoglobine, qui peut transporter jusqu’à 50 fois plus d’oxygène que l’homme. Cette propriété particulière permet au ver de stocker l’oxygène contenu dans l’eau de mer à marée haute et d’utiliser cette réserve à marée basse.
En médecine, l’hémoglobine de l’arénicole pourrait contribuer à améliorer la conservation des organes lors de transplantations, à la création de pansements oxygénants ou à la mise au point d’un substitut sanguin pour les transfusions urgentes.
Bien que ce ver puisse révolutionner la médecine, il pourrait poser de nombreux problèmes aux agences antidopage du monde sportif. Pratiquement indétectable et hyper efficace, l’hémoglobine du ver aréniclien, grâce à ses incroyables vertus oxygénantes, pourrait augmentera sans aucun doute les performances des athlètes aux prochains Jeux Olympiques !
Colle naturelle Krazy !
Bien que ballottées par les vagues à longueur de journée, les moules parviennent à rester solidement accrochées aux rochers. Leur secret ? Le byssus, un ensemble de fibres de la taille d’un cheveu à la fois résistantes et élastiques.
Les protéines qui composent le byssus forment la colle naturelle Krazy Glue; cette colle liquide durcit rapidement et permet à la moule d’adhérer avec une ténacité inégalée à presque toutes les surfaces, même humides.
Les propriétés inhabituelles du byssus fascinent les hommes depuis l’Antiquité. Autrefois, ces filaments de « soie marine » étaient utilisés pour tisser des vêtements luxueux. Ces dernières années, la composition chimique particulière des protéines collantes du byssus a servi d’inspiration pour la création d’adhésifs sous-marins et de colles chirurgicales.
En conclusion, si l’épifaune est relativement bien connue dans le Saint-Laurent, il n’en est pas de même pour l’endofaune, sur laquelle les connaissances demeurent, même en 2023, dispersées et ponctuelles. Des initiatives sont en cours pour découvrir et caractériser cette faune qui vit dans les sédiments.
Ces études mèneront certainement à la découverte d’autres faits tout aussi fascinants liés au benthos !
Philippe Archambault, professeur et codirecteur scientifique d’ArcticNet, Université Laval; Cindy Grant, professionnelle de recherche en biologie marine et écologie benthique, Université Laval; Gabrièle Deslongchamps, professionnelle de recherche, Université Laval et Lisa Treau De Coeli, professionnelle de recherche en écologie benthique, Université Laval