Aujourd’hui président-directeur général de la Fondation du Grand Montréal, Karel Mayrand est depuis 25 ans un observateur privilégié des enjeux environnementaux.
« Les élites parlent de fin du monde, quand nous parlons de fin de mois. » Cette phrase résume la révolte des Gilets jaunes, un mouvement qui s’est notamment opposé à la hausse des taxes sur les carburants en France en 2018. La mesure adoptée pour réduire la consommation de pétrole – et la production de gaz à effet de serre – a été perçue comme injuste par une partie de la population qui peine à joindre les deux bouts dans une économie qui a creusé les divisions sociales ces dernières décennies.
L’idée selon laquelle la protection de l’environnement est une cause élitiste que seuls les riches peuvent se permettre existe depuis longtemps. Pourtant, le Global Inequality Lab de Thomas Piketty a démontré que les 50 % des Canadiens les plus pauvres ont déjà atteint l’objectif de 10 tonnes d’émissions de GES par personne d’ici 2030, alors que les 40 % suivants en émettent deux fois plus et les 10 % les plus riches, six fois plus. Quant au 1 % le plus riche, il en émet 20 fois plus ! Les politiques efficaces de lutte contre les changements climatiques doivent d’abord cibler la surconsommation des plus riches avant d’exiger des sacrifices supplémentaires des classes les moins aisées.
Depuis des décennies, les campagnes de sensibilisation à l’environnement nous appellent à consommer mieux et à acheter des produits écologiques souvent plus chers et inaccessibles aux moins nantis, ce qui a alimenté la perception d’une cause élitiste. Mais il ne s’agit pas de consommer mieux ; il faut surtout consommer moins. La liste des actions les plus importantes que nous pouvons mener pour protéger notre planète ressemble en tous points à un budget pour lutter contre les effets de l’inflation.
Pour la classe moyenne, soit les 40 % de la population dont les émissions sont deux fois supérieures à l’objectif de 2030, réduire son empreinte carbone signifie réduire sa consommation, ce qui a pour effet direct de réduire sa dette. Au premier trimestre de 2023, la dette moyenne des ménages canadiens a atteint 184,5 %, selon Statistique Canada. Malgré la montée en flèche des prix des maisons, la dette des consommateurs a augmenté plus rapidement (11,4 %) que celle des prêts hypothécaires (7,1 %), selon les calculs de TransUnion. Les ménages consacrent désormais 15,2 % de leur revenu au service de la dette.
L’automobile représente la plus grande part de l’endettement des ménages à la consommation, en plus de représenter leur plus grande source d’émissions de GES. La solution? Posséder une seule voiture par famille au lieu de deux ou trois, se tourner vers l’autopartage, opter pour des voitures plus petites, moins énergivores ou électriques. Le prix moyen d’un véhicule neuf a atteint 64 215 $ en 2023 au Québec (une hausse de 27,3 % en un an) en raison du remplacement par les constructeurs automobiles de modèles plus abordables par des modèles plus chers, plus lourds et plus énergivores. Malgré cela, les ventes ont augmenté de 11,8 % entre 2022 et 2023, selon la firme DesRosiers Automotive Consultants.
En 2019, le ménage canadien moyen a consacré 18,5 % de son revenu disponible au transport, contre 14,9 % à l’alimentation (données les plus récentes de Statistique Canada en dehors de la pandémie, lorsque les dépenses en transport ont diminué). Le prix des véhicules ayant grimpé en flèche au cours des trois dernières années, on peut supposer sans risque que de nombreuses personnes réduisent désormais leurs dépenses d’épicerie pour payer leur prêt automobile et leur réservoir d’essence. À cet égard, grâce aux subventions actuelles et aux économies sur le carburant et l’entretien, un véhicule électrique peut réduire les factures de transport de plusieurs milliers de dollars par an et ramener les émissions de GES à près de zéro.
La prochaine mesure anti-inflationniste pour sauver la planète ? Limiter nos déplacements aériens. Un vol vers l’Europe pour une famille de quatre personnes coûte plus de 4 000 dollars et génère au moins quatre tonnes de CO2L’équivalent de 20 000 km parcourus en voiture à essence. De nombreux ménages financent ces voyages à crédit. Attendre un ou deux ans de plus pour économiser en vue du voyage est une décision financière judicieuse qui favorise également la santé de la planète, puisque nous voyageons ainsi moins souvent.
Que faire ensuite ? Mangez moins de viande, surtout de bœuf. Un kilo de tofu ou de pois chiches coûte une fraction d’un kilo de bœuf. Et n’oubliez pas qu’un kilo de bœuf génère 10 fois plus de calories que de bœuf. son poids en GES. Voici une résolution bonne pour votre santé, celle de la planète et celle de votre portefeuille. Autres suggestions ? Réparer plutôt que remplacer. Économiser plutôt qu’acheter à crédit. Le meilleur produit pour l’environnement et notre portefeuille est celui qu’on n’achète pas. « En avez-vous vraiment besoin ? » devrait être la première question que l’on se pose avant de cliquer sur un achat en ligne ou de se précipiter dans des centres commerciaux bondés.
Nous sommes constamment bombardés de campagnes publicitaires qui créent de nouveaux besoins artificiels, qui contribuent à notre dette écologique et à nos soldes de cartes de crédit. La plupart d’entre nous n’ont pas besoin d’un iPhone en titane, d’un comptoir en quartz, d’un deuxième écran 4K de 72 pouces ou d’un ensemble de canapés d’extérieur à 3 000 $ pour répondre à l’appel de la tendance du jardinage (activités de plein air). Et pourtant, nous nous précipitons vers ces produits comme s’il n’y avait pas de lendemain.
Dans un sondage Léger réalisé pour la Communauté de pratique en communication climatique, 1000 Québécois ont été invités à nommer le principal défaut de leur mode de vie qui devrait être rapidement corrigé. Le coût de la vie, la surconsommation, les finances et le rythme de vie effréné arrivaient en tête des quatre principaux problèmes. Le même sondage nous apprend que 84 % des Québécois croient que notre mode de vie doit changer de façon significative pour réussir à réduire les GES. Pourquoi ne pas choisir de vivre plus frugalement, de ralentir le rythme et de réduire notre anxiété financière ?
Pour sauver la planète, nous devrons briser les chaînes de notre surconsommation et de notre endettement.
Fin du monde, fin du mois, même combat.