Non, les grands arbres ne prennent pas soin des petits, affirme Christian Messier, professeur en aménagement forestier et biodiversité à l’UQAM et à l’Université du Québec en Outaouais. Avec 34 collègues nord-américains et européens, le spécialiste a rédigé l’automne dernier un article scientifique qui démonte pièce par pièce les théories popularisées par le forestier allemand Peter Wohlleben, qui a connu un succès planétaire avec son livre La vie secrète des arbrespublié pour la première fois en 2015, et par la biologiste Suzanne Simard, professeure à l’Université de la Colombie-Britannique et auteure du best-seller À la recherche de l’arbre mèrepublié en 2022.
« Il y a tellement de bonnes raisons de prendre soin des forêts, il n’est pas nécessaire d’en inventer ! », s’exclame Christian Messier. Les nouvelles j’ai parlé avec lui.
Suzanne Simard, avec qui vous avez déjà collaboré, a évoqué de possibles transferts de nutriments entre les arbres par des champignons formant de vastes réseaux sous le sol forestier. Vous en doutez?
Son étude phare publiée dans la revue Nature L’étude de 1997 était sérieuse et apportait des données intrigantes. On savait déjà que les champignons mycorhiziens vivaient en symbiose avec les racines des arbres. Mais à l’aide d’une technique basée sur les isotopes du carbone, Suzanne Simard a émis l’étonnante hypothèse que les sapins de Douglas échangeaient du carbone entre eux par l’intermédiaire de ces réseaux. Par la suite, plusieurs autres chercheurs se sont penchés sur cette question, mais ils sont arrivés à des résultats moins clairs. Personne n’a trouvé la preuve que les arbres bénéficient de ce transfert, s’il existe.
Dans son livre et ses conférences, Suzanne Simard affirme que les arbres matures sont altruistes et maintiennent en vie les jeunes pousses qui les entourent. Mais c’est là une interprétation abusive de ses études. En se basant notamment sur ces résultats, Peter Wohlleben, qui n’a jamais été scientifique, a construit tout un mythe sur la vie des arbres, qu’il présente comme des êtres doués de sentiments et capables de ressentir la douleur. C’est de la désinformation pure et simple !
Ces livres ont contribué à sensibiliser la population et même les politiques à la cause des forêts. N’est-ce pas une bonne chose ?
Non, car la fin ne justifie pas les moyens. Il faut protéger les vieilles forêts. Mais ne plus couper les arbres matures dans les forêts en exploitation, comme le réclament ces deux auteurs, reviendrait à privilégier les espèces tolérantes à l’ombre et donc à perdre en diversité. Or, cette diversité est essentielle pour rendre les forêts plus résilientes aux changements climatiques ou aux espèces envahissantes. De nombreux scientifiques ont déjà dénoncé les idées folles de Wohlleben, qui a bâti toute une entreprise autour de ses théories et qui a l’oreille de certains politiques, notamment en Europe. Suzanne Simard va aussi trop loin dans ce qu’elle affirme, car la science n’en est pas encore là. Mais tous deux refusent tout dialogue !
Il est rare que des scientifiques prennent la parole et critiquent un de leurs pairs dans une revue scientifique. Pourquoi avez-vous signé cet article ?
Nous avons déjà dénoncé publiquement ces idées comme étant non scientifiques, mais elles continuent de se propager. Cela discrédite la recherche sérieuse qui est nécessaire pour mieux gérer et préserver les forêts. L’objectif de Simard et Wohlleben est de mettre un terme à l’exploitation forestière, parfois abusive. Mais mes collègues et moi ne pouvons accepter que la science soit ainsi déformée.