Il suffit de passer par la grille de la Reine, au nord du château de Versailles, pour profiter d’une escapade à la campagne. La plaine de la Fontaine aux crapauds, une vaste étendue plate qui jaunit sous le ciel de juillet, sent le foin coupé. « D’habitude, il y a même des moutons ici. Ils ont sans doute été rentrés à l’intérieur pour l’été », remarque Grégory Quenet, historien de l’environnement à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et auteur de Versailles, une histoire naturelle («Versailles, histoire naturelle»).
Il n’y a que quelques centaines de mètres entre les premiers hectares d’un parc bucolique, dont l’entrée est gratuite, et le palais doré conçu par Louis XIV, qui, avec près de sept millions de touristes par an, est l’un des monuments les plus visités au monde. Pourtant, peu de gens s’y promènent, sous l’allée de la Reine. Des tilleuls argentés bruissent dans la brise matinale. Quelques parents poussent des poussettes et des tricycles, deux cavalières dont les montures broutent et une poignée de visiteurs haletants en essayant de dégager leurs calèches électriques en panne dans l’allée Saint-Antoine.
“C’est le parc des habitants, pas celui des touristes”, explique Quenet, en short et baskets, qui a décidé de l’explorer à vélo, un “compromis” entre la marche et le cheval, autrefois moyen de transport de la Cour. A l’époque, il fallait parcourir beaucoup de chemin pour atteindre les limites du domaine ! Il ne reste aujourd’hui que le Petit Parc de 450 hectares, bordé à l’ouest par la route départementale reliant les communes de Saint-Cyr-l’Ecole et de Bailly.
Mais revenons à la fin du 17ème Si l’on se place au 18e siècle, lorsque le château était encore habité, on imagine les 11 000 hectares du Grand Parc, soit plus que la superficie actuelle de Paris, ceinturés d’une enceinte de 40 kilomètres de long, enserrant huit villages et des milliers de paysans. « La nature était omniprésente dans ce tableau », explique l’historien. Surtout des champs et des bois, des pâturages, mais aussi quelques forêts, le tout peuplé d’animaux domestiques et sauvages.
Nature rugissante et hurlante
Si Versailles est célèbre dans le monde entier pour sa mise en valeur symbolique de la nature, notamment à travers ses célèbres jardins, Il est difficile d’imaginer la nature rugissante et hurlante qui vivait ici autrefois. « Le visiter, c’est changer de point de vue. Le palais devient un détail qui change la perspective : il n’y a pas de séparation entre la nature et la culture ! » argumente Quenet.
Le chercheur, qui est également codirecteur des humanités environnementales au Collège des Bernardins à Paris, a l’habitude de sortir des sentiers battus. Il organise des sorties scientifiques pour apprendre à décrire un territoire en le reliant à son histoire environnementale. « À l’époque, le territoire de Versailles était un formidable laboratoire écologique : il fallait inventer des façons de faire cohabiter tous les êtres vivants et de gérer de nombreux conflits. C’était une situation très moderne », explique-t-il.
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