Samedi 27 juillet, 21 h 30. Réunies dans un coin autrefois minable du quartier Centre-Sud, une quarantaine de personnes attendent. La salle ? Un mouchoir au plafond bas, sans fenêtre ni climatisation. Le menu plastifié fait office de ventilateur, la sono fait retentir Les Trois Accords, l’excitation est palpable. Reçues le matin même, les consignes étaient les suivantes : « Passez par la ruelle, frappez à la porte verte » et « Soyez discrets, il ne faut pas se faire prendre ! »
Mystérieux et inattendu, l’e-mail annonçant le début de la Visite souterraine de Pierre-Yves Roy-Desmarais avait été envoyée au début du mois de juillet aux milliers de membres abonnés à l’infolettre de l’humoriste. Moi y compris. Qui, par miracle, ai été l’un des plus rapides à cliquer sur le lien, à payer 25 $ et à mettre la main sur un billet très rare.
Nota bene :la presse n’a pas été invitée.
Caché derrière la tranche de citron Perrier, je vais devoir me faire discret pour ne pas me faire prendre. Car le prodige de l’humour connaît mon visage : je l’ai interviewé deux heures il y a un mois.
Regardez, le voilà enfin, chemise ouverte jusqu’au nombril, prenant possession de la scène lilliputienne. “Mon dernier montrer« C’était au Centre Bell l’été dernier, devant 9000 personnes », dit-il pour briser la glace et souligner notre chance. Et sans cracher, ce qui est apprécié, vu la proximité. (Il ne me verra pas, finalement.)
Nous sommes tous engourdis par l’humidité, sauf lui, qui déploie l’énergie d’une éolienne avec ses bras longs comme des pales. Ce retour sous le manteau est un laboratoire où tester, devant un public de cobayes consentants et bon vivants, des blagues et des chiffres qui alimenteront un futur (vrai) spectacle. Le deuxième de sa courte carrière.
Le premier, lancé en 2021, a un titre très facile à retenir (Blagues Chapeau Maman Piano Magique), a ébloui les critiques : « tout est magistralement assemblé », a écrit La presse “un virtuose qui étonne”, selon Le devoir.
« Je suis souvent stressée, angoissée. Une de mes craintes est que la perception que le public a de moi change, que les gens passent à autre chose. On prend goût à être dans l’air du temps. »
Un enthousiasme partagé par l’autorité en la matière, Robert Aird, historien de l’humour. « Comparé à d’autres spectacles comiques, le sien était totalement singulier et original, audacieux », a déclaré l’auteur de L’histoire de l’humour au Québec, de 1945 à nos jours (éditeur VLB, 2004) et co-auteur de L’imaginaire comique dans le cinéma québécois, 1952-2014 (Septentrion, 2016). « Pour son style d’humour – sa façon de tricher et de subvertir les codes, la forte dose d’absurde, le mariage de l’humour et de la chanson –, il s’inscrit dans la lignée de Denis Drolet. Pour ses qualités de musicien et de chanteur qui sait aussi manier l’humour avec brio, avant lui, je ne peux penser qu’à Jean Lapointe. Mais la comparaison a ses limites, je tiens à le mentionner : il demeure unique dans l’histoire de l’humour et actuellement sur les scènes québécoises. »
Mon Dieu ! Quand Pierre-Yves lit ces lignes, la pression pour le deuxième spectacle ne peut qu’augmenter. Il a déjà devant lui un défi plus urgent, équivalent aux 12 travaux d’Hercule réunis – dont celui de capturer Cerbère, le chien à trois têtes et gardien des Enfers : succéder à Louis-José Houde, figure de proue du Gala de l’ADISQ pendant 18 ans, unanimement salué.
Le casse-cou a abordé le sujet ce soir-là (« Je suis vraiment nerveux »), ajoutant que lors du dernier Gala, auquel il a assisté sachant qu’il piloterait le prochain, « Robert Charlebois a dit qu’il n’aimerait pas être à la place de celui qui [allait remplacer] Louis-José”. En réalité, le Garou originel, celui de L’Osstidcho“On va remercier José, Louis-José, son humour magistral a fait perdurer ça, je ne sais pas comment on va le remplacer, je ne vois personne d’autre que Dominique Michel.” Bref, le message était clair : quel idiot oserait prendre la relève ?
Arrêt sur image. Retour en arrière et changement de décor. Fin juin, début d’après-midi. Dans un restaurant du Plateau, près de son condo, Pierre-Yves Roy-Desmarais emploie sensiblement les mêmes mots pour parler du Gala : « J’y pense, c’est sûr. La seule chose que je peux contrôler, c’est ce que je vais dire. » Ce qui sera approuvé par Radio-Canada. « C’est toujours comme ça quand on passe à la télé. »
Adossé à son fauteuil, le grand brun à la fine moustache, sérieux comme un pape, est d’une zénitude bouddhiste. Un leurre. “Je suis souvent stressé, anxieux. L’une de mes craintes est que la perception que le public a de moi change, que les gens passent à autre chose. On prend goût à être dans l’air du temps.”
Ce moment dure depuis trois ans. Depuis le 4 août 2020, pour être exact.
— Est-ce que cette date vous dit quelque chose ?
— Hum… La sortie de Ça va mal ?
Souvenez-vous. La Terre avait cessé de tourner, des affiches arc-en-ciel tentaient de nourrir l’espoir avec le slogan « Ça va bien aller ». Soudain, en plein été, dans une vidéo de 51 secondes, un gars, seul chez lui, au sourire forcé et à la chorégraphie décousue, chante la petite chanson entraînante (« Ça va mal ! Oui, j’voir le verre à demi plein, mais y’é plein de merde ! ») jusqu’à la dernière image où il s’effondre et murmure « Au secours… ».
L’homme au bord de la crise de nerfs avait vu juste. Il était vrai que les choses allaient mal et qu’on avait envie de jeter les arcs-en-ciel à la poubelle. Mais d’où venait ce fou ?
De l’École nationale de l’humour, promotion 2017. Pierre-Yves Roy-Desmarais n’était pas encore un nom connu de tous, simplement le nom prolixe d’un humoriste en devenir sur une lancée prometteuse qui a été étouffée dans l’œuf, confiné entre quatre murs, désœuvré. Quatre mois plus tard, déguisé en coronavirus, le même homme ouvrait le Au revoirchantant et dansant devant quatre millions de téléspectateurs. Depuis 2022, il fait partie intégrante du casting.
« Pierre-Yves est capable de tout et il réussit tout ce qu’il entreprend », affirme son ami Alec Pronovost, réalisateur de la première saison de Complètement lycéen.
« J’ai été opportuniste. Tout le monde était rivé aux réseaux sociaux. J’ai pris la parole en pensant que j’allais essayer de les faire rire. Je pensais que ça deviendrait viral. J’ai confiance en mes capacités. »
Interrogé sur un éventuel sentiment d’imposture lorsqu’il donne la réplique à une comédienne chevronnée (Julie Le Breton) dans Complètement lycéen (Noovo), la grande parodie de séries américaines pour ados, il répond non. « Je suis intimidé, comme je le suis de jouer avec Guylaine Tremblay et Claude Legault dans Au revoirmais, en toute humilité, je fais mes devoirs. Je suis toujours prêt. Et ce serait « ennuyeux » de me sentir comme un imposteur Complètement lycéenc’est mon projet [avec Rosalie Vaillancourt]. » Récompensé en 2022 au festival international Canneseries, le bébé de Rosalie et Pierre-Yves, parrainé par la productrice Julie Snyder, devrait être adapté en France.
« Pierre-Yves est capable de tout et il réussit tout ce qu’il entreprend », affirme son ami Alec Pronovost, réalisateur de la première saison de Complètement lycéen et la capture de Blagues Château Tante… euh, non, Blagues Chapeau Maman Piano Magique (ouf !), offert gratuitement sur le site de l’humoriste. « Même au hockey, c’est le meilleur. Parce qu’il est très méthodique, je l’appelle le ‘métronome humain’. »
Tic-tac, tic-tac. Le temps passe et n’épargne personne, peu importe si vous êtes né en 1994 à Laval. « Oui, 30 ans. Je suis encore jeune, et c’est un argument pour me calmer : “Détends-toi, tu as accompli beaucoup de choses.” »
Enfance choyée. Petit garçon vif et branché. Clown de son équipe de hockey. Le petit banlieusard est le centre de toutes les attentions, surtout à la maison : un demi-frère et une demi-sœur aînés, fruits d’une précédente union, des parents massothérapeutes. « Ils consommaient beaucoup [Pierre-Yves fait une pause pour attaquer la salade du jardin qu’on vient de lui servir]…beaucoup d’humour, j’ai regardé les galas Juste pour rire, j’ai vu Louise Richer [directrice de l’École nationale de l’humour] à la télévision et m’a dit : « Ce serait la amusant pour que tu ailles là-bas.
A 10 ans, sa voie est toute tracée : comédien. Puis, l’improvisation le séduit, la comédie aussi : comédien. Puis, la musique entre dans sa vie : rock star. « Mon frère a joué le tambouril me l’a fait découvrir, il en joue toujours, c’est un mélomane. Quand j’avais 15 ans et lui 25, nous avons formé un groupeLes Nipples. » En français, « tétons », une partie de son anatomie qu’il affiche fièrement avec son nombril, non pas au restaurant, mais dans les spectacles et dans ses vidéos.
Finalement, l’humour, son premier amour, l’a emporté, juste à temps. L’envie irrépressible de jouer — du latin jocusc’est-à-dire « blague », « plaisanterie » — reste très présent. Idem pour le quatrième art, la musique, qu’il a étudié au cégep. Aux derniers Francos de Montréal, Les Trois Accords, qu’il adore, l’ont invité sur scène. L’enregistrement de sa prestation, que l’on peut retrouver sur le Web, prouve qu’il s’y est pris comme un pro.
A quand un album de chansons originales pour ce multi-instrumentiste qui joue de la batterie, de la guitare et du piano ? Pas demain, jure-t-il.
En fait, Pierre-Yves préfère parler de la musique qu’il écoute, principalement de la musique québécoise. Dans chaque entrevue, il fait invariablement la promotion d’Ariane Roy, mieux qu’un attaché de presse. « Je veux la nommer, parce que si ça éveille la curiosité des gens, je sais qu’ils vont aimer. Je ne comprends pas pourquoi on ne l’entend pas davantage à la radio commerciale, qui se contente de “tunes” formatées. »
La suite immédiate est écrite dans le ciel.
— Quelqu’un, quelque part, travaille probablement en ce moment même sur un scénario de film de votre envergure…
— En ce moment ? Non. J’aime jouer mes propres trucs, les écrire. J’ai le sentiment que si jamais je fais un film, j’aurai piloté ce projet de A à Z.
Alec Pronovost, son ami réalisateur, est plus bavard. « L’hiver dernier, nous sommes allés à Nashville pour chercher un personnage qui chante de la country, raconte-t-il en riant au souvenir du voyage. Nous travaillons aussi sur un projet télévisé, un véhicule pour lui. »
Une chose est sûre : la polyvalence de Pierre-Yves Roy-Desmarais est une symphonie de talents, dont certains ne sont pas encore exploités. Qui sait ce que l’avenir lui réserve ? Son métier mène à tout, c’est prouvé. Mariana Mazza animera une émission littéraire sur ICI ARTV à l’hiver 2025. Guy Nantel s’est présenté à la chefferie du Parti québécois. Peter MacLeod vend ses « petezzas » (petites pizzas) chez Metro. Marthe Laverdière, l’horticultrice coquine, vend sa salade à TVA.
Un débouché possible pour Pierre-Yves : le journal télévisé. Sans blague. Il en a fait un numéro lors d’un gala de ComediHa ! « Si j’avais été présentateur, j’aurais fait Blagues du chef d’antenne. [Ton posé] « Ce matin, attentat en Allemagne. Heureusement pas de blessés, malheureusement beaucoup de morts. » Éclats de rire dans la salle. (Enfin, il fallait être là.) Un remède drastique ? Peut-être, mais imaginez l’audience.