L’auteure est professeure de science politique au Collège militaire royal et à l’Université Queen’s à Kingston, en Ontario. Spécialiste de la politique canadienne, ses recherches portent sur les langues officielles, le fédéralisme et la politique judiciaire.
La nouvelle défaite subie par les libéraux dans LaSalle–Émard–Verdun, un bastion libéral, ramène à l’avant-plan une question que plusieurs se posent depuis un certain temps déjà : Justin Trudeau, désormais perçu comme un fardeau plutôt qu’un atout pour son équipe, sera-t-il celui qui dirigera le navire libéral lors des prochaines élections générales fédérales?
Certains imaginent déjà un scénario à l’américaine dans lequel Justin Trudeau – acculé par l’impossibilité statistique de voir son parti se relever tant qu’il demeurera chef – démissionnerait, laissant la place à quelqu’un qui saurait galvaniser les troupes et leur redonner l’espoir d’une éventuelle victoire… ou, à tout le moins, d’une défaite moins amère.
Le contexte politique canadien n’est toutefois pas propice à une répétition du scénario qui a conduit au retrait de Joe Biden au profit de Kamala Harris à une minute de minuit cet été.
D’une part, l’équivalent canadien de Kamala Harris, la vice-première ministre et ministre des Finances Chrystia Freeland, n’a pas montré beaucoup d’intérêt – du moins en public – pour le poste de premier ministre.
Peut-être voit-elle des parallèles entre sa situation et celle de la progressiste-conservatrice Kim Campbell en 1993. Campbell est devenue première ministre après la démission de Brian Mulroney, dont la popularité du gouvernement, déjà ébranlée par une récession et l’instauration de la TPS, entre autres facteurs, avait chuté à 12 % à la fin de son mandat. La première (et, à ce jour, la seule) femme à occuper le poste de première ministre, l’a fait pendant moins de cinq mois avant que son parti ne subisse la pire défaite de la politique fédérale canadienne, se retrouvant réduit à deux sièges après les élections.
Par contre, les règles entourant le choix d’un nouveau chef du Parti libéral du Canada (PLC) empêcheraient une nomination rapide comme celle qu’a reçue Kamala Harris. Si les libéraux décident de changer de chef avant les prochaines élections, la course à la direction ressemblera à une course contre la montre. Une course à la direction prend habituellement des mois à organiser. Justin Trudeau a été élu chef après une course de cinq mois; Pierre Poilievre a gagné pour les conservateurs après une campagne de huit mois. Les libéraux n’auront pas ce luxe de temps.
Selon les statuts du PLC, le parti disposerait de 27 jours pour convoquer une réunion du Conseil national après la démission de son chef, au cours de laquelle seraient élus les organisateurs de la course à la chefferie. Les candidats potentiels doivent manifester leur intérêt auprès du président national du parti au moins 90 jours avant la tenue du scrutin. Ces candidats doivent également avoir recueilli les signatures d’au moins 300 libéraux inscrits, dont au moins 100 libéraux de trois provinces ou territoires différents, avant même de soumettre leur candidature (à titre de comparaison, le Parti libéral du Québec exige 750 signatures pour devenir candidat à la course à la chefferie actuelle…).
On parle au minimum de quatre mois entre la démission de Justin Trudeau et la nomination d’un nouveau chef. Or, avec la fin de l’accord de confiance entre les libéraux et les néo-démocrates, la possibilité que le gouvernement soit défait sur une motion de censure à la Chambre — dont la première sera présentée par Pierre Poilievre dès mardi prochain — rend le pari d’une course à la direction beaucoup plus risqué.
L’autre défi auquel les libéraux sont confrontés dans une éventuelle course à la chefferie est la perspective de voir peu de candidats se présenter. Les sondages montrent que le prochain gouvernement sera conservateur et majoritaire — même si Justin Trudeau est remplacé par une personnalité connue, comme Chrystia Freeland, François-Philippe Champagne, Mélanie Joly ou même Mark Carney. Cela signifie qu’un futur chef risque de ronger son frein pendant quatre ans sur les bancs de l’opposition, voire d’être remplacé avant les prochaines élections. De quoi refroidir les ardeurs de bien des ambitieux.
Dans ce contexte, les libéraux pourraient se résigner à la perspective d’une prochaine campagne difficile, au terme de laquelle le parti s’engagera sur la voie de la reconstruction. En attendant, l’un des défis du premier ministre sera de conserver son équipe. Alors que plus d’une dizaine de membres du caucus ont déjà annoncé leur départ — en plus du ministre Pablo Rodriguez cette semaine —, la dernière chose dont Justin Trudeau a besoin est un exode… Ce qui signalerait à l’opposition que le temps est peut-être venu de faire tomber le gouvernement.