L’auteur est vétérinaire et éthicien. Ancienne présidente de l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec, elle travaille à Groupe de recherche en épidémiologie des zoonoses et santé publiquepropose des formations et intervient régulièrement sur les relations homme-animal et la démarche « One Health ».
La grippe aviaire, qui touche principalement les oiseaux, élargit sa cible. Il s’attaque désormais également au bétail aux États-Unis, ainsi qu’aux mammifères marins presque partout sur la planète. Et pour la première fois depuis son apparition en 2020, il vient de contaminer un humain sans que celui-ci ait été en contact avec un animal contaminé.
En effet, les virus grippaux possèdent un super pouvoir : une capacité impressionnante à muter et à se présenter sous différentes formes. Tout comme la grippe chez l’homme, il existe plusieurs souches de grippe aviaire, et la souche actuelle fait des ravages depuis près de trois ans.
La grippe aviaire est présente presque partout sur la planète, mais certaines souches sont plus actives dans certaines régions. Depuis les années 1950, de nombreux épisodes plus ou moins graves liés aux virus de l’influenza aviaire hautement pathogènes (IAHP) ont causé des dégâts importants aux élevages de volailles et aux oiseaux sauvages partout dans le monde. Et depuis la fin de l’année 2021, c’est la grippe A (H5N1) qui se propage au Canada et qui retient notre attention.
La grippe aviaire A (H5N1) peut-elle affecter toutes les espèces d’oiseaux ?
Assez. Cette maladie ne fait pas de discrimination, même si en réalité les poulets et les dindes sont plus souvent touchés. Les conséquences sont donc bien plus graves chez ces espèces domestiques. La grippe aviaire hautement pathogène peut tuer des troupeaux entiers d’oiseaux ou obliger les agriculteurs à abattre leurs troupeaux pour contenir la propagation et éviter de déplacer les animaux infectés. Rien qu’en 2022, des millions d’oiseaux d’élevage ont été abattus au Canada.
Certains oiseaux aquatiques, notamment les canards sauvages, les oies et les goélands, peuvent être porteurs et propager le virus sans présenter de symptômes. D’autres espèces, en revanche, sont moins chanceuses : plus sensibles aux maladies, elles meurent en plus grand nombre. C’est le cas des fous de Bassan, des eiders à duvet, des goélands marins, des vautours à tête rouge et de certains oiseaux de proie, qui ont été décimés au Québec.
D’autres animaux sauvages peuvent-ils être infectés ?
Oui. Les cas de transmission de virus des oiseaux aux animaux sauvages comme les renards, les mouffettes, les ratons laveurs, les ours et les phoques sont déjà bien documentés. En revanche, le virus de la grippe aviaire ne semble pas provoquer chez eux beaucoup de symptômes ni de mortalité. Cela dit, sa répartition reste à surveiller, car ces animaux peuvent être porteurs asymptomatiques et contribuer à la propagation de la maladie.
Quel risque pour nos animaux de compagnie ?
Des chiens, chats, furets et autres animaux de compagnie ont déjà été infectés par le virus. Mais cela n’inquiète pas outre mesure les autorités sanitaires du Québec et du Canada, puisque nous n’avons aucun indice permettant de suggérer qu’elles soient touchées. Il est toutefois recommandé de tenir les toutous et les chatons éloignés des oiseaux morts ou malades.
Quel risque pour les animaux d’élevage non aviaires ?
Le bétail n’est pas non plus à l’abri. Des cas ont été signalés chez plusieurs espèces de bétail non aviaire, notamment le vison, les porcs, les chèvres et les bovins. Chez les vaches laitières, les symptômes comprennent un manque d’appétit, une production de lait réduite et un lait qui ressemble au colostrum, ce qui n’est pas normal chez une vache qui n’a pas vêlé les jours précédents.
La maladie n’est pas mortelle chez ces mammifères, mais elle peut potentiellement entraîner des pertes économiques en raison, par exemple, d’une production laitière réduite. Sans compter qu’un animal de ferme contaminé propagera probablement le virus !
Plus inquiétant encore, les chats de ferme qui buvaient le lait de vaches infectées ont également été infectés. A noter cependant que ce lait n’avait pas été pasteurisé. De plus, suite à la découverte de l’IAHP chez des bovins laitiers aux États-Unis, l’Agence canadienne d’inspection des aliments a resserré ses règles d’importation.
Finalement, quel est le risque pour notre santé ?
De rares cas de grippe aviaire A (H5N1) chez l’homme ont été signalés. Et aucun au Canada jusqu’à présent. Ils surviennent le plus souvent après un contact étroit avec des oiseaux infectés ou dans des environnements hautement contaminés tels que les élevages de volailles ou les marchés d’animaux vivants. Ceci dit, aux Etats-Unis, un cas de contamination d’un humain sans contact connu avec un animal porteur ou malade a encore été rapporté récemment.
Malgré cela, l’IAHP ne constitue pas un problème de sécurité alimentaire. À l’heure actuelle, il n’existe aucune preuve que la consommation de volaille ou d’œufs cuits puisse transmettre l’IAHP aux humains. Le Département de l’Agriculture des États-Unis a détecté la présence du virus A (H5N1) dans le lait (non pasteurisé) de vaches laitières de certaines régions des États-Unis. Nous n’en avons pas trouvé au Canada.
Comme le lait vendu au Canada doit être pasteurisé – et il est prouvé que la pasteurisation inactive le virus – on peut donc le boire sans crainte.
Que faisons-nous pour réduire les risques et les effets ?
Plein de trucs ! La variété des virus grippaux et la capacité de certaines souches à infecter plusieurs espèces animales – ainsi que l’homme – rendent nécessaire leur surveillance étroite à l’échelle mondiale. Une alliance quadripartite (l’Organisation mondiale de la santé, l’Organisation mondiale de la santé animale, le Programme des Nations Unies pour l’environnement et les Nations Unies) a inscrit les grippes zoonotiques (transmissibles entre les animaux et les humains ou vice versa) dans sa liste de zoonoses prioritaires.
Le Canada participe activement à ces efforts de surveillance. Et de plusieurs manières. Par exemple, en analysant les eaux usées pour détecter des traces de virus et, lorsque c’est le cas, observer attentivement leur évolution. Les virus sont également suivis à l’aide d’une modélisation mathématique, c’est-à-dire une équation mathématique qui prend en compte tous les facteurs connus influençant la propagation du virus.
Un vaccin contre le H5N1 a même été développé par deux chercheurs de l’UQAM, Steve Bourgault, professeur au Département de chimie, et Denis Archambault, vétérinaire au Département des sciences biologiques. Les résultats de leurs recherches viennent d’être publiés dans Vaccins npj — Natureune revue scientifique prestigieuse consacrée aux études sur la vaccination. Ce vaccin s’avère très prometteur contre le H5N1 chez les poulets. Il reste encore de nombreuses étapes à franchir avant une éventuelle commercialisation, ce n’est donc certainement pas une solution miracle, mais cela permettra probablement un jour de réduire les effets de cette grippe dans les élevages.
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