L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux portent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.
Kamala Harris et Donald Trump se sont déjà associés pour récolter plus d’un milliard de dollars pour leur cagnotte de campagne. Quand on additionne les sommes récoltées par les groupes « indépendants » qui soutiennent l’un ou l’autre des deux candidats (PACs et Super PAC), ainsi que celles qui seront sans doute versées par des donateurs d’ici le jour du scrutin, on peut estimer que ces sont plusieurs des milliards qui auront été dépensés au moment du décompte des voix.
La majeure partie de cet argent a été injectée, massivement et depuis des semaines, dans la publicité.
L’effet net, après plus de deux mois de campagne, semble pratiquement nul. Si l’on se fie aux sondages – et c’est un pari qui comporte des risques – la course entre Harris et Trump est pratiquement « gelée » depuis août.
Il peut paraître inconcevable de dépenser autant pour si peu d’effet net. Et pourtant, lorsqu’on passe un minimum de temps dans un état activement convoité, on voit bien la mécanique à l’œuvre. Surtout lorsqu’il s’agit de l’État le plus stratégiquement important – et dans lequel les deux parties investissent le plus d’argent.
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La première chose qui frappe à Philadelphie, où je me trouve actuellement, c’est que la course à la présidentielle est omniprésente.
Dans les rues de la plus grande ville de Pennsylvanie, les pancartes invitant les électeurs à « voter tôt » (le vote par anticipation a déjà commencé dans cet État) se multiplient. A la télévision comme à la radio, les ondes sont envahies par un véritable torrent de publicités électorales. Car en plus de ceux pour la course à la présidentielle, il y a ceux pour le poste de sénateur qui sont en jeu.
Les messages de campagne de Kamala Harris sont plus nombreux que tous les autres, suivis par ceux de Donald Trump. Ils semblent souvent avoir été réalisés par la même agence, à tel point qu’ils présentent le même style visuel, marqué par un rythme rapide et des images déformées de l’adversaire. Les discours de Harris sur le coût de la vie, l’avortement, le caractère de Trump ; ceux de Trump parlent de criminalité et, encore et encore, d’immigration. Presque tous exagèrent ou déforment grossièrement la réalité : Harris accuse Trump de vouloir introduire une taxe de 4 000 dollars sur les familles américaines (il s’agit en fait d’une taxe sur les importations dont le coût par foyer pourrait être inférieur, de 1 700 à 3 900 dollars par an), selon les économistes) ; Trump accuse Harris de « donner la priorité aux criminels », sans plus de détails.
Il y a ensuite les publicités pour le sénateur démocrate Bob Casey, qui brigue un quatrième mandat dans la course la plus compétitive de sa carrière nationale, ainsi que celles pour son adversaire républicain, Dave McCormick. Le siège qu’ils convoitent, sur les 100 que compte le Sénat de Washington, a déjà fait l’objet de plus de 100 millions de dollars de publicité électorale, à un mois de la fin de la campagne.
Dans les médias, on voit plus souvent les visages de Casey et McCormick que ceux des joueurs des Phillies de Philadelphie, qui alimentent pourtant les passions des pensionnaires à l’orée des séries éliminatoires du baseball majeur.
Et il y a, pour assaisonner le tout, les annonces des candidats à la Chambre des représentants, Philadelphie étant aussi le théâtre d’une lutte acharnée pour un siège basée dans la Lehigh Valley, à deux heures au nord de la ville.
Au lever du soleil, lors d’un petit-déjeuner dans un restaurant du centre-ville, j’ai vu au moins une quinzaine de publicités diffusées sur deux écrans de télévision.
Une fois le soleil couché un vendredi soir à 21 heures, la première chose que j’ai entendue en entrant dans un magasin d’alcool était… une publicité radio de Kamala Harris.
Au total, la société AdImpact estime l’argent déjà investi dans la publicité électorale à près d’un milliard de dollars. seulement en Pennsylvanie – parce que de nombreux groupes injectent de l’argent dans cet État, pas seulement les équipes des candidats.
Pour la petite fraction des électeurs indécis, qui ont déjà tendance à être moins intéressés par la politique que les autres, l’effet est non seulement prévisible, mais naturel : il y a une overdose. Ils se déconnectent. Déconnectez-vous.
Alors pourquoi investir autant d’argent dans la publicité si tel est le résultat ? En raison des conséquences de ne pas le faire : si un parti ou un candidat décidait de réduire considérablement sa présence sur les ondes, il laisserait son adversaire libre de les inonder et, si nécessaire, de gagner la bataille des messages et de dominer la campagne.
Tout le monde serait donc mieux servi par moins de pression pour lever et dépenser des fonds, mais personne ne veut (ou ne peut) prendre le risque de battre en retraite en premier.
Et les campagnes électorales américaines continuent ainsi d’être ce qu’elles ont été depuis longtemps : une industrie.