J’aime le vin pour accompagner un plat alléchant. J’aime aussi sortir au restaurant. Pour moi, les deux éléments s’additionnent donc naturellement. Il y a cependant une équation que je n’arrive pas à résoudre : pourquoi les restaurateurs s’opposent-ils à une limite d’alcoolémie de 0,05 ?
Au Canada, seuls le Québec et le Yukon autorisent un taux d’alcool au volant supérieur à 0,05. Geneviève Guilbault, ministre des Transports, justifie la position du gouvernement par le fait que les mesures de contrôle routier, et les sanctions qui en découlent, sont ici plus sévères.
Il n’en reste pas moins que la démonstration a été faite, comme en témoigne un avis de la Société de l’assurance automobile du Québec : augmenter la limite d’alcoolémie de 0,08 à 0,05 entraînerait trois à neuf décès en moins sur les routes et une dizaine de graves blessures épargnées chaque année. Pour autant, la ministre n’entend pas bouger, pas plus que ses prédécesseurs ne l’ont fait au cours des 20 dernières années.
Les suppositions s’enchevêtrent pour expliquer une position aussi ferme : la réticence des électeurs, l’absence d’autres options que la voiture dès que l’on quitte les grandes villes, et surtout le lobby pressant des bars et restaurants…
Ces facteurs sont présents dans le reste du Canada, ce qui n’empêche pas le bon sens de prévaloir. Il est possible cependant que le rôle d’Éduc’alcool ait eu une influence ici. L’organisme n’a jamais poussé vigoureusement en faveur du 0,05 — d’ailleurs, le ministre Guilbault s’accroche à l’argument d’Éduc’alcool.
Il s’agit cependant d’un exercice d’équilibriste, puisque l’organisme prône la modération tout en étant subventionné en fonction des ventes d’alcool réalisées dans la province et dont les revenus sont perçus par la Société des alcools du Québec. Une précision facile à oublier, tant les Québécois — que leurs ministres ! — combiner les slogans d’Éduc’alcool avec les conseils de santé publique.
Mais je ne veux pas m’attarder sur les arguties liées au mandat. Je préfère jauger l’air du temps… Et cet air est plutôt mauvais pour le secteur de la restauration.
En début d’année, on apprenait que le nombre de restaurants n’avait jamais été aussi faible en 10 ans au Québec, selon les données du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation. Depuis, les fermetures d’établissements réputés ou qui constituaient des points d’ancrage dans leur quartier se poursuivent dans toutes les régions.
Tout comme la pénurie de personnel et la hausse des coûts, la pandémie de COVID-19 a été un élément déclencheur de ces ravages. Mais il faut aussi voir les choses du point de vue du client. Et de ce côté-là, l’air n’est pas très bon non plus.
Malgré le ralentissement de l’inflation, le coût de la vie reste une préoccupation majeure pour les ménages. Pourtant, aller au restaurant est devenu synonyme de franchir le pas, que ce soit en recevant son assiette (la portion a diminué) ou en voyant l’addition. Comme c’est cher ! Très cher, même. Le calcul est donc très simple : on y ira moins souvent.
Pour contrer ce réflexe, la chaîne de rôtisseries St-Hubert a récemment annoncé qu’elle allait réduire les prix de certains plats de son menu. D’autres chaînes insistent sur leur bon rapport quantité-prix. Un restaurant montréalais vient de lancer la formule d’abonnement mensuel.
Donc ça innove côté alimentation, mais pour l’alcool, il y a un blocage : les restaurateurs restent attachés à l’idée de la bouteille à partager entre deux personnes. Dans les endroits où la gastronomie est bonne, la liste des bouteilles de vin s’étend sur des pages et des pages. Du vin au verre ? Trois, quatre, parfois cinq choix de rouges, et autant de blancs. Pas plus, et pas le meilleur.
Pourtant, depuis longtemps, pour ma part, même en charmante compagnie, je m’en tiens à un apéritif (et pas toujours) et à un verre pendant le repas. Je préfère un vin qui s’accorde bien avec ce que je mange plutôt qu’une bouteille passe-partout garnie du mieux qu’elle peut pour s’adapter aussi bien à un plat de viande qu’à un plat de poisson.
Mais ce qui était au départ une question de goût est devenu une question de coût : l’alcool est tellement cher au restaurant que même si nous étions deux à choisir le même plat, il n’y aurait pas de bouteille sur la table. tableau. C’est trop pour le portefeuille !
L’âge qui fait des ravages est également trop dur pour mon estomac. Et je vois bien autour de moi que beaucoup, pour des raisons de bien-être ou de santé, réduisent fortement leur consommation d’alcool, voire arrêtent carrément d’en boire. Résultat net : les Québécois boivent moins. The Alcohol Company souhaite même élargir son offre de boissons non alcoolisées pour compenser la baisse des ventes d’alcool !
Pourquoi alors les restaurants ne s’adaptent-ils pas ? On a beau répéter sans cesse que c’est la vente de bouteilles qui fait des bénéfices, à quoi bon miser là-dessus si les clients ne viennent plus ?
Il serait possible d’élargir l’offre de ce célèbre vin au verre, voire d’ouvrir des bouteilles coûteuses ! Même pour une occasion très spéciale, je ne boirai plus une demi-bouteille au restaurant. En revanche, je serais prête, de temps en temps, à payer plus cher pour déguster un bon nectar au verre.
Dans le même ordre d’idées, élargir la gamme de boissons non alcoolisées au-delà de l’apéritif et les proposer pour accompagner un repas serait une opportunité à saisir. Les Québécois sont prêts à avoir un rapport plus sain, ou plus distant, avec l’alcool.
Si réussir en affaires passe par s’adapter à ses clients, il est temps que les restaurateurs emboîtent le pas.
Et ce serait un argument de moins contre ce qui est devenu une évidence : durcir la limite d’alcool avant de prendre le volant sauve des blessures et des vies. Une seule sauvée suffirait à elle seule.