L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux portent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.
Avec l’expérience vient, en principe, une perspective plus large et plus longue. Quiconque suit de près la folle course à la présidentielle qui touche à sa fin pourrait facilement être tenté de croire la rhétorique des deux campagnes rivales, unies par un même message alarmiste.
«Ils veulent détruire notre pays», clame Donald Trump à propos des démocrates. « Nous ne serons plus les États-Unis d’Amérique », déclare Nancy Pelosi, ancienne présidente de la Chambre des représentants, à propos des conséquences de l’élection de Trump. Des deux côtés se dresse le spectre d’une chute irrémédiable des idéaux du pays aux mains d’une force obscure.
La rhétorique s’est certainement réchauffée depuis l’arrivée de Trump sur la scène politique nationale il y a près de dix ans – et même depuis la dernière campagne présidentielle, il y a quatre ans.
Et l’inflammation n’est pas symétrique : c’est Trump, et non Kamala Harris, qui traite constamment les élus du parti adverse d’« ennemis » et de « vermine » qui « détestent notre pays ». Sans compter, bien sûr, qu’il est le seul et unique candidat perdant à la présidentielle à avoir tenté un coup d’État après sa défaite. D’ailleurs, il parle encore aujourd’hui de l’insurrection au Capitole comme d’un « jour d’amour ».
Il n’en demeure pas moins que l’idée selon laquelle l’élection du 5 novembre est la plus importante de l’histoire n’est pas nouvelle. Trump lui-même a décrit ainsi celle de 2020 il y a quatre ans… après avoir fait de même pour celle de 2016.
Au moment où le dernier président républicain avant Trump, George W. Bush, briguait un second mandat, son adversaire démocrate, John Kerry, parlait de l’élection la plus importante depuis la présidence du premier « George W. » — George Washington — au XVIIIe siècle.e siècle. Un certain nombre de célébrités hollywoodiennes ont même promis d’émigrer au Canada si Bush était élu. Bush a été élu ; Barbra Streisand est restée à Hollywood. C’était il y a 20 ans, en 2004.
Au moment où le premier Le président républicain Abraham Lincoln briguait un second mandat. Certains médias américains ont également déclaré qu’il s’agissait de l’élection la plus importante de l’histoire. C’était il y a 160 ans, en 1864.
Les hommes politiques et les médias ont intérêt à amplifier autant que possible le caractère exceptionnel des élections à venir, pour des raisons différentes mais tout aussi importantes. Pour les politiciens, il s’agit de mobiliser les électeurs ; pour les médias, il s’agit d’accrocher les consommateurs.
Soyons clairs : certaines élections sont vraiment et particulièrement importantes. Lincoln, après tout, s’imaginait en pleine guerre civile. Et Trump attise les braises de l’autoritarisme comme aucun président de notre vivant ne l’a fait. Le risque d’un transfert de pouvoir non pacifique ou d’un refus de Trump de céder les rênes à la fin de son éventuel second mandat n’est pas nul – même s’il l’était dans le passé.
Mais ce risque doit être contextualisé.
Contrairement à il y a quatre ans, Trump n’est pas le président sortant. La possibilité qu’un président vaincu insiste pour rester à la Maison Blanche n’est pas envisagée en 2024 comme elle l’a été de novembre 2020 à janvier 2021. Joe Biden remettra les clés du Bureau Ovale au vainqueur. Le 5 novembre prochain.
Par ailleurs, après l’horreur du 6 janvier 2021, il y a fort à parier que tout sera mis en œuvre pour assurer une sécurité maximale autour des procédures officielles de certification des résultats.
Depuis 2020, parmi tous les loyalistes aveugles et piétinant la démocratie que Trump voulait élire comme responsables électoraux dans les États clés, aucun n’a gagné.
Il y a quatre ans, la démocratie américaine a été mise à l’épreuve comme aucune autre depuis la guerre civile – et elle a tenu.
Lorsqu’il s’agira de mettre en œuvre leurs programmes respectifs, ni les Républicains ni les Démocrates n’auront une totale liberté au Congrès après les élections de novembre. Sauf énorme surprise, les deux chambres resteront étroitement divisées, laissant relativement peu de marge législative à celui qui sera élu à la Maison Blanche.
Dans le cas de Harris, elle pourrait devenir le premier président depuis George Bush (Sr.) en 1989 à entamer un premier mandat avec un Sénat dominé par le parti adverse. Elle serait menottée dès le départ et limitée même dans les nominations qu’elle pourrait effectuer au sein de son propre cabinet.
L’émotion est vive et la course restera serrée jusqu’au bout. Impossible de dire qui gagnera le 5 novembre. Seule certitude : la planète continuera de tourner le 6 novembre.
Des débordements restent malheureusement possibles. Mais malgré tous leurs défauts, les États-Unis se caractérisent également par un mot : résilience. Et par une éternelle soif de renouveau.
Une seule personne sera élue président. Mais cette personne ne profitera pas d’une longue lune de miel – si elle en a une – avant d’être mise au défi de toutes parts. Et ainsi le cycle continuera.