“Une folie”, “une chose folle”. Lorsqu’il évoquait les débuts de la Fondation Cartier, qui fête ses 40 ansème anniversaire cette année, Alain-Dominique Perrin, son créateur, n’a tenté aucune fausse pudeur. “Ce que nous avons fait était unique”, a déclaré l’actuel coprésident du comité stratégique du groupe Richemont, propriétaire du joaillier de la place Vendôme. À 82 ans, l’homme à la barbe toujours bien entretenue n’a pas perdu son franc-parler. Il rejoint Cartier en 1969 et gravit les échelons, inventant notamment les montres Must de Cartier qui popularisent la marque.
Sous son égide, la maison de luxe a été la première à créer une fondation d’entreprise dédiée à l’art contemporain, 19 ans avant Louis Vuitton à Paris et neuf ans avant Prada à Milan. Elle fut la première à traverser les disciplines, exposant aussi bien de l’art que des voitures, du design et des arbres. Elle fut aussi la première entreprise à utiliser l’art comme un puissant moyen de communication : sans dépenser un centime en publicité, le joaillier a changé son image dépassée grâce à l’impact médiatique de ses expositions.
Ce concept non conventionnel est apparu à un moment charnière, dans une décennie d’argent et de faste qui redessinait les contours de l’art. Les défilés de mode ressemblent à du pur divertissement et les vernissages se transforment en spectacles. Perrin se souvient de chaque seconde du spectacle laser vert qui a électrisé la nuit d’inauguration de la Fondation Cartier, le 20 octobre 1984, à Jouy-en-Josas – « un spectacle qui a tout démesuré », dit-il. Jack Lang, alors ministre de la Culture, a déclaré : “C’était un moment joyeux et sympathique.” Ce soir-là, il troque son habituel col mao contre une cravate rouge.
César en faisait partie avec une grande exposition de ses Fers sculptures en fer. Le matin même, le sculpteur marseillais avait râlé en découvrant qu’il partageait la vedette avec deux très jeunes artistes que personne ne connaissait, la Britanno-Canadienne Lisa Milroy, 25 ans, et le Britannique Julian Opie, 26 ans. Les figures pop ont depuis conquis le monde, n’avaient jamais exposé à l’étranger auparavant : « À l’époque, la norme était d’être exposée dans un centre d’art, une galerie, un musée ou quelque chose de très établi, avec peu de moyens. Exposer chez un bijoutier était inhabituel.”
La politique culturelle, le territoire de l’État
La Fondation Cartier est apparue de nulle part sur la scène artistique. A l’époque, l’art contemporain était une affaire d’initiés, d’écoles de pensée et de dogmes. C’est aussi l’affaire de l’État, seul moteur de la politique culturelle. Les fondations étaient rares en France et l’administration, qui voyait d’un mauvais oeil toute incursion du secteur privé sur son territoire, faisait tout ce qui était en son pouvoir pour en limiter le nombre et la portée.
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