Aujourd’hui président-directeur général de la Fondation du Grand Montréal, Karel Mayrand est depuis 25 ans un observateur privilégié des enjeux environnementaux.
Depuis plusieurs années, Montréal-dénigrer prend des allures de sport national pour les commentateurs québécois, creusant de plus en plus un fossé entre la métropole et le reste du Québec. Montréal, cette ville insulaire au milieu du fleuve Saint-Laurent, compte une quinzaine de ponts qui la relient au continent, mais aucun ne semble mener au cœur du Québec. Née au Québec, élevée dans la région et adoptée à Montréal, j’aime le Québec, j’aime Montréal et je revendique toutes mes identités. Montréal est peut-être insulaire, mais elle n’est pas moins québécoise que l’Île d’Orléans.
Les sondages d’opinion sur la perception de Montréal se résument généralement ainsi : Qui aime Montréal ? Ceux qui y vivent. Qui a une perception négative de Montréal ? Ceux qui n’y habitent pas et les automobilistes.
Comment expliquer un tel écart ? Tout simplement par le fait que les premiers vivent Montréal au quotidien, ses rues piétonnes et ses quartiers animés, sa vie nocturne, son offre culturelle, ses parcs, sa diversité et sa vitalité. Les gens qui adoptent Montréal — ou est-ce Montréal qui les adopte ? — décident d’y rester parce qu’ils peuvent y mener la vie qu’ils veulent, en toute liberté, dans un grand désordre créatif, comme c’est le cas dans d’autres grandes villes du monde.
Quant à ces derniers, leur expérience de Montréal se résume à l’enfer d’être emprisonné dans une cage à quatre roues, immobile au milieu d’un dédale incompréhensible et enrageant de cônes orange. Du point de vue de l’automobiliste, Montréal est la maison des fous 12 oeuvres d’Astérix.
La perception négative de Montréal est également alimentée par les images souvent sensationnalistes véhiculées par les chaînes d’information en continu. Après quelques heures d’écoute, difficile de ne pas imaginer Montréal comme un décor dystopique à la Mad Max. La ville est décrite comme sale, violente, peuplée de hordes de zombies et de gangsters errants. La criminalité et l’itinérance ne sont pas des réalités uniquement montréalaises, mais elles y sont plus visibles, à tel point qu’il est facile pour plusieurs de rejeter la ville elle-même dans l’espoir de faire disparaître le problème. Pourtant, Montréal est l’une des métropoles les plus sécuritaires au monde. Si les caméras étaient braquées sur ses enfants, ses arbres majestueux, ses escaliers et les corniches de ses maisons, la perception serait complètement différente.
On critique, souvent à juste titre, l’omniprésence de Montréal dans les médias. Depuis l’effondrement des médias régionaux, sa présence est devenue envahissante pour le reste du Québec. Même si Montréal n’est pas responsable de cette situation, elle a pour effet de rendre invisibles les autres territoires du Québec. Moins de Montréal et plus de régions sur nos écrans seraient probablement bénéfiques pour tout le monde.
Outre cette perception induite par l’attention portée par les médias à Montréal, le négativisme à l’égard de la métropole est également fortement alimenté par une partie de la classe médiatique et politique québécoise. Certains commentateurs détestent cette ville trop progressiste, trop diversifiée et qui compte trop de cyclistes. Montréal est l’antithèse d’un Québec blanc, conservateur et motorisé. Soyons clairs : Montréal a toujours fait bouger les choses. La réaction instinctive qu’elle suscite chez certains n’est pas sans rappeler celle de Duplessis et du clergé face à cette Babylone insoumise qui refusait de se plier à leur pensée unique dans les années 1950. N’oublions jamais que c’est à Montréal que sont nées plusieurs de nos révolutions plus ou moins tranquilles. C’est Montréal qui offre à René Lévesque son premier mandat de député aux élections de 1960, qui élit les premiers députés souverainistes, qui donne au Québec L’Osstidcho Et Refus global. Plus récemment, Montréal nous a offert le printemps des érables et sa fièvre révolutionnaire, la plus grande manifestation environnementale de l’histoire canadienne et une certaine idée du vivre ensemble.
Montréal n’est pas moins québécoise que le Saguenay ou la Gaspésie. J’aime rappeler que René Lévesque a choisi d’y vivre, justement pour sa modernité, son progressisme, son ouverture. Cela ne l’a jamais empêché d’aimer profondément le Québec. Je m’inquiète aujourd’hui d’une certaine façon de penser qui oppose Montréal au reste de notre nation. Montréal s’anglicise rapidement, et si le passé est garant de l’avenir, les phénomènes sociaux ou politiques qui surgissent à Montréal finissent par affecter l’ensemble du Québec. Tourner le dos à Montréal, à ce moment précis de notre histoire, c’est risquer de tout perdre. Perdre Montréal, c’est capituler.
La classe politique québécoise a un effort à faire à cet égard. Comme seule une poignée de circonscriptions changent d’allégeance sur l’île de Montréal à chaque élection, cette dernière est souvent négligée, et parfois qualifiée de « moins québécoise ». Plusieurs élus de tous bords m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas faire un geste en faveur de Montréal sans faire simultanément quelque chose ailleurs au Québec, pour éviter de donner l’impression qu’ils favorisent la métropole. Cette dynamique politique a quelque chose de toxique et contribue à diviser le Québec en deux.
Il faut reconstruire les ponts entre Montréal et le reste du Québec, réinvestir à Montréal et ressentir la fierté d’avoir dans notre pays une ville qui fait l’envie du monde entier. Les Montréalais doivent aussi retirer leurs œillères, avoir l’humilité et l’ouverture d’esprit de quitter leur île et reconstruire les liens, qui se sont effilochés au fil du temps, avec le reste du Québec. Si Québec doit réinvestir à Montréal, Montréal doit faire l’effort de‘intégrer au Québec.
Peut-on imaginer les Catalans refuser Barcelone ? Les Ecossais tournent-ils le dos à Glasgow ? C’est une opportunité incroyable d’avoir une ville d’une telle vitalité au Québec. Cette ville ne peut exister qu’ici, au Québec, et elle est à notre image : désordonnée, joyeuse, bon enfant, imparfaite, rebelle et… francophone. Cela doit le rester. Montréal est bien plus qu’une forêt de cônes orange. Montréal est en quelque sorte une grande ville. Elle est du Québec. Il ne faut pas l’oublier.