Ancien conseiller politique, Pascal Mailhot plonge au cœur des enjeux actuels avec une connaissance intime des coulisses du pouvoir. Après avoir occupé des postes au cabinet du premier ministre du Québec lors des mandats de Lucien Bouchard, Bernard Landry et François Legault, il est aujourd’hui vice-président de l’agence de relations publiques TACT. Il a co-écrit Conquérir le pouvoir : comment une troisième voie politique a émergé au Québecpublié aux Éditions du Boréal.
Le scandale de l’école Bedford, où un « clan dominant » d’enseignants aurait tenté « d’introduire des concepts religieux islamistes » dans un établissement d’enseignement public, a donné lieu à une proposition surprenante de la part de Paul St-Pierre Plamondon. Le chef péquiste suggère d’encourager la diversité dans les écoles montréalaises pour contrer « l’invasion de la religion ». Étonnamment, cette idée semble être passée comme une lettre dans les médias québécois — ou, du moins, personne ne l’a vraiment remise en question.
« Nous devrions étudier comment parvenir à la diversité, afin d’éviter la formation de microcosmes. En fait, ce que nous voulons, c’est éviter des situations d’une telle homogénéité que même la loi n’a plus d’importance. C’est en quelque sorte le cas de l’école de Bedford : la loi ne capitule plus », a déclaré le PSPP lors d’un point de presse il y a dix jours. « Que signifie cette homogénéité dans les écoles montréalaises ? C’est parce qu’il n’y a pas d’intégration possible. On ne peut pas s’intégrer à la société québécoise s’il n’y a aucune trace de la société québécoise en termes de langue, de mentalité ou de principes. »
Certes, le défi de l’intégration est réel et la concentration d’élèves issus de l’immigration dans certaines écoles montréalaises mérite une réflexion sérieuse. Mais comment établir cette diversité sans tomber dans la coercition ? En déplaçant les enfants comme des pions sur un échiquier ? En imposant des quotas ethniques ? Comment alors mesurer la « Québécitude » dans les classes ?
Imaginez un instant si François Legault avait déclaré qu’il faudrait plus d’enfants nés au Québec dans les écoles. Le tollé médiatique aurait fait trembler les murs du Parlement au point de faire tomber les statues de sa façade.
Après une proposition du PSPP, on n’entend plus que le doux chant des grillons. À moins que personne ne le prenne vraiment au sérieux, un peu comme une idée lancée lors d’un 5 à 7 ?
Mais lorsque François Legault propose de déplacer la moitié des demandeurs d’asile vers d’autres provinces, c’est comme s’il renversait son verre de Bordeaux sur la nappe blanche d’un salon parisien.
Ce « double standard » dans le traitement médiatique révèle une tendance plus large : le Premier ministre suscite depuis plusieurs mois une humeur particulièrement amère. Chacune de ses sorties est désormais scrutée, analysée et le plus souvent rapportée sous un angle défavorable. Les caricaturistes le représentent avec cette moue boudeuse, devenue emblématique depuis le dernier débat des chefs. Même le choix des photos dans les médias semble calculé pour le montrer dans sa forme la plus maussade.
Le récit est bien rodé : François Legault aurait perdu sa boussole, serait devenu imprévisible, aurait multiplié les faux pas. Nous scrutons chaque affirmation pour mettre en évidence des contradictions ou des erreurs. Les chroniqueurs, comme les chasseurs, ne manquent pas une occasion de tirer sur cette cible facile.
Cette dynamique dans laquelle Legault semble inextricablement coincé rappelle la situation dans laquelle se trouvait Bernard Landry en 2001. À peine assis dans le fauteuil du premier ministre, il avait entamé une véritable descente aux enfers. Remaniement ministériel raté, démissions retentissantes, scandale des lobbyistes… Le gouvernement Landry était au bord du gouffre. Au plus bas de la vague, un sondage prévoyait même que le PQ réélirait… un seul député.
A l’époque, les médias s’intéressaient beaucoup à la personnalité du Premier ministre, perçu comme un intellectuel distant au tempérament parfois colérique. Mais contre toute attente, Bernard Landry a réussi à inverser la tendance. Le succès du sommet régional et la signature de la Paix des Braves avec les Cris en 2002 lui ont valu un regain de popularité. Quelques mois avant les élections d’avril 2003, beaucoup le voyaient même gagner, avant qu’une campagne électorale difficile ne vienne sceller son sort.
Ce parcours montre qu’un Premier ministre, même malmené par l’opinion publique, peut rebondir s’il parvient à reprendre les rênes de son programme politique. Mais pour cela, vous devez disposer d’une feuille de route claire pour guider votre gouvernement. François Legault saura-t-il, comme Bernard Landry à l’époque, s’échapper de ce purgatoire ?
On pourrait presque dire la même chose de Justin Trudeau, mais la situation est différente. Le Premier ministre fédéral semble politiquement épuisé. Son regard est terne, sa rhétorique sonne creux. Les Canadiens semblent l’avoir abandonné pour de bon.
Dans le cas de François Legault, sa relation avec les Québécois ressemble davantage à un déchirement : les gens sont en colère au niveau de l’affection qu’ils lui portent. Celui qu’on surnommait « Papa Legault » pendant la pandémie est désormais perçu comme un père qui a oublié l’anniversaire de ses enfants. La colère est d’autant plus intense que l’attachement est profond.
C’est peut-être, paradoxalement, ce qui pourrait le sauver. Car contrairement à Justin Trudeau, François Legault conserve ce lien affectif avec les Québécois, même s’il est actuellement marqué par le mécontentement. Et comme dans toute relation, la réconciliation est possible si les bonnes actions sont prises.
«Malgré les déceptions ressenties à l’égard de François Legault, les Québécois demeurent attentifs, ce qui lui donne une chance de reconstruire le lien qu’il avait établi», m’a indiqué le spécialiste de l’opinion publique Youri Rivest. « Par contre, dans le cas de M. Trudeau, il semble que les Québécois aient changé de chaîne, ne se branchant plus sur sa fréquence. »
Reste à savoir si François Legault parviendra à retrouver ce je ne sais quoi qui l’a rendu si populaire, en prouvant qu’il peut encore être le leader capable de faire avancer le Québec. A deux ans des prochaines élections, le rideau n’est pas encore tombé sur son gouvernement. Un scénario de rédemption est toujours possible, mais le temps presse.